De l'eau virtuelle que l'on saisit dans une coupelle, de petits nains numériques avec lesquels on joue, un écran élastique où l'on s'enfonce littéralement dans l'image: l'art virtuel japonais rend la technologie vivante.

De l'eau virtuelle que l'on saisit dans une coupelle, de petits nains numériques avec lesquels on joue, un écran élastique où l'on s'enfonce littéralement dans l'image: l'art virtuel japonais rend la technologie vivante.

«Please touch the screen» (Merci de toucher l'écran). Les oeuvres d'art qui jalonnent l'«allée japonaise», au salon international de réalité virtuelle à Laval (Mayenne), ne sont pas de celles que l'on protège derrière une vitrine. Au contraire, c'est l'action du spectateur qui les anime.

«La réalité virtuelle ouvre un espace complètement différent où l'oeuvre devient dynamique», où «l'auteur n'est plus unique», souligne Alain Grumbach, professeur d'informatique à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications à Paris et spécialiste de l'art virtuel. Les spectateurs «trouvent l'émotion au travers des images mais aussi dans la possibilité qu'ils ont d'en modifier le cours», note-t-il.

L'effet en est presque magique. Curieuse sensation que de plonger une cuiller de bois dans un bol vide, sous l'oeil de la caméra, et de la voir simultanément jouer avec une eau pure sur l'écran de retransmission («Wet-Free Water», Nara institute of science and technology, Japon).

Étrange émotion que de pousser une boîte de thé sur la table et de ressentir la résistance... de minuscules lutins virtuels qui s'opposent de toutes leurs forces au mouvement et que l'on ne peut distinguer qu'à travers une petite fenêtre de bois («Kobito virtual brownies», Tokyo institute of technology).

Un peu plus loin dans l'allée, Norimichi Idehara, professeur associé de sciences de l'information à l'Université Tama de Tokyo, s'inquiète pour sa planète virtuelle, écosystème sous globe dont «les entités vivantes semblent destinées à l'extinction» en dépit des mouvements générateurs de pluies qu'impriment les visiteurs du salon.

«C'est de la magie mais les gens savent très bien qu'il s'agit de technologie», remarque la professeure Machiko Kusahara, du département «Lettres, arts et sciences» de l'Université Waseda à Tokyo. «On ne cherche pas à la dissimuler».

En grande vogue au Japon, «ces objets tiennent souvent du gadget, mais ils sont conçus avec une intention artistique soigneusement étudiée», relève-t-elle. «Les artistes produisent des produits commerciaux pour la vie de tous les jours, ils cherchent à atteindre l'audience la plus large possible».

Dans la culture japonaise, il n'existe en effet aucune barrière entre un art qui serait noble et le reste, explique Mme Kusahara. L'art technologique correspond à cette tradition d'esthétique dans la vie quotidienne, de «beauté dans l'outil».

Le bol d'eau virtuelle attire ainsi par la simple beauté de l'image, le son clair de l'eau qui coule et éclabousse. Pourtant, ni la caméra qui enregistre le mouvement réel, ni l'ordinateur qui calcule celui du liquide imaginaire ne sont dissimulés. L'objet constitue d'ailleurs une prouesse technologique.

Les petits nains de la boîte à thé, eux, sont déjà commercialisés. «Imaginez votre vie avec Kobito», dit la publicité sur internet. «Ils vous réconforteront quand vous en aurez besoin».

Au bout de l'«allée japonaise», l'installation d'Hideaki Ogawa imprime sa marque philosophique. Des sabliers de «Perfect Time» (temps parfait) s'écoule un fin rideau de grains dorés qu'éclairent en transparence les projections symbolisant le temps qui passe. Si personne ne verse le sable, on ne voit rien. La perception du temps est suspendue: le virtuel n'existe que dans l'interaction entre l'homme et l'objet.

Sur le Web:

- Perfect Time - Installation d'Hideaki Ogawa

- Kobito virtual brownies - Nains numériques