L'expression «interopérabilité» vient à peine de naître qu'on l'utilise déjà à toutes les sauces. Or, ce concept soulève les passions des spécialistes sans que le commun des mortels sache vraiment de quoi il s'agit. Rappelons-en donc la signification, à la lueur d'événements qui ont eu prise sur vos pratiques de consommation.

L'expression «interopérabilité» vient à peine de naître qu'on l'utilise déjà à toutes les sauces. Or, ce concept soulève les passions des spécialistes sans que le commun des mortels sache vraiment de quoi il s'agit. Rappelons-en donc la signification, à la lueur d'événements qui ont eu prise sur vos pratiques de consommation.

En clair, l'interopérabilité désigne la capacité de lecteurs numériques (baladeur, ordinateur personnel, lecteur CD ou DVD, magnétoscope numérique) ou contenus (pièce musicale, film, émission de télé, livre, texte d'un quotidien, etc.) à fonctionner ensemble sans qu'on y introduise de barrières informatiques. Ces barrières sont désignées par une expression aussi nouvelle que l'interopérabilité: les «mesures de protection technique», dont l'acronyme MTP se répand comme une traînée de poudre.

C'est d'ailleurs là que commence la confusion

Pour mieux saisir les enjeux de l'interopérabilité, rappelez-vous l'incompatibilité entre les magnétoscopes Beta et VHS au début des années 80. Sony avait alors mis au point le format Beta, qualitativement supérieur à son concurrent VHS selon la plupart des analystes. Le pire des formats avait finalement gagné la partie, les consommateurs ayant penché pour ce VHS largement répandu et dont on pouvait faire circuler les contenus.

«Interopérable», en somme

Avec l'avènement d'Internet au début des années 90 et le partage exponentiel des contenus depuis l'an 2000, on assiste à de nouvelles luttes pour la conquête du marché de l'audiovisuel. Le fabricant californien Apple, champion des modèles d'affaires à l'ère numérique, est au centre de ces luttes. Refusant de partager avec ses concurrents ses formats d'encodage sur ses fameux baladeurs iPod, l'entreprise mène une guerre de protection de marché que l'on confond encore avec la protection du droit d'auteur.

Par mesure de représailles aux MTP d'Apple, par exemple, les multinationales de la musique Sony-BMG et EMI avaient entrepris l'automne dernier d'inclure leurs propres MTP visant notamment à empêcher le transfert de millions de CD dans les baladeurs iPod. Les associations de consommateurs avaient alors rué dans les brancards.

Quelques mois plus tard, de nouveaux services légaux de consommation audiovisuelle dans Internet ont pris une ampleur insoupçonnée : offerts aux Canadiens comme aux Québécois (qui savent lire l'anglais), des services d'abonnement à d'immenses répertoires musicaux tels que Yahoo! Music Unlimited (plus d'un million de chansons) ou Napster to Go (plus de 700 000) ne sont pas compatibles avec les iPod, parce que l'élégante machine est pourvue d'une MTP qui en bloque l'accès.

Voilà qui laisse à moult observateurs la nette impression qu'Apple abuse de sa position dominantele iPod occupe 75 % des parts du marché mondial. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un géant de l'informatique essaie de créer un marché captif... En mars 2004, la Commission européenne a condamné le géant Microsoft à une amende record de 497 millions d'euros (722 millions CAN), et ordonné à l'entreprise de partager des données techniques permettant à ses concurrents de rendre leurs logiciels compatibles avec son système d'exploitation Windows... Partage qui ne semble pas avoir tout à fait été respecté puisque la Commission européenne a convoqué Microsoft la semaine dernière pour ne pas avoir obéi à son ordonnance.

De telles pratiques ont d'ailleurs incité le gouvernement français à voter une disposition de sa nouvelle loi sur le droit d'auteur qui oblige l'interopérabilité des contenus. Ce à quoi Apple s'est opposée depuis l'adoption de cette nouvelle loi, qui sera fort possiblement ratifiée par le Sénat français en mai prochain.

Au Canada ? On ne sait trop ce qu'il adviendra du projet de loi C-60 sur la protection des droits d'auteur à l'ère numériquedéposé en juin 2005. Le gouvernement minoritaire conservateur a bien d'autres chats à fouetter avant de se pencher sur un projet de loi déjà désuet, qui devra être actualisé à la lueur des mutations juridiques en Europe.

En attendant ? «Tout le monde a le droit de s'essayer. Des entreprises comme Apple qui freinent l'interopérabilité le font en utilisant des moyens légaux mais... Avec le temps, je suis loin d'être sûre que le marché acceptera de tels procédés. La combinaison de nouvelles initiatives législatives et de la réprobation croissante du marché finiront par conduire à une interopérabilité généralisée des outils et contenus numériques», croit Ysolde Gendreau, juriste et professeur en propriété intellectuelle à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.

Reste à savoir quand cela se produira dans une galaxie près de chez vous....