(Ottawa) Meta coupe temporairement l’accès aux nouvelles sur Facebook et Instagram et menace de le faire de façon permanente si le projet de loi C-18 est adopté. Cette mesure, qui entre en vigueur vendredi, touchera entre 240 000 et 1,2 million d’utilisateurs en juin.

« Bien sûr, si le Sénat apportait des modifications fondamentales vraiment importantes au projet de loi, nous réévaluerions notre réponse », a affirmé en entrevue la responsable des politiques publiques de Meta au Canada, Rachel Curran. Mais nous devons nous préparer à la possibilité que le projet de loi soit adopté pratiquement dans sa forme actuelle d’ici la fin juin. »

La Chambre des communes a déjà donné son aval au projet de loi C-18 sur les nouvelles en ligne, qui est actuellement à l’étude au Sénat. Cette nouvelle législation forcerait les géants du web à compenser les médias d’information pour la publication de leurs contenus. Ils auraient six mois pour conclure des ententes de partage de revenu après son adoption.

Meta préfère ainsi cesser la publication du contenu d’actualité provenant des médias plutôt que de les compenser. « Un cadre qui nous oblige à rémunérer les éditeurs pour le matériel qu’ils placent volontairement sur notre plateforme n’est tout simplement pas viable pour nous », a réitéré Mme Curran.

Les éditeurs et les diffuseurs d’actualité obtiennent une grande valeur d’affichage sur nos plateformes. Nous quantifions cela à 230 millions de dollars en distribution marketing gratuite.

Rachel Curran, responsable des politiques publiques de Meta au Canada

L’entreprise indique qu’il s’agit de « tests » qui se dérouleront simultanément sur ses deux plateformes pour déterminer comment elle ajustera ses produits après l’adoption de C-18. Des usagers choisis au hasard ne verront plus le contenu d’actualité et seront avisés s’ils tentent de le partager. Les pages Facebook et Instagram des médias seront maintenus, mais leur contenu ne sera plus visible par 1 % à 5 % des utilisateurs, et ce, pour une période indéterminée. Ils auront toujours accès à aux services d’affaires de Meta et à ses outils publicitaires. Un processus d’appel sera en place pour les médias qui ne diffusent pas du contenu de nouvelles et qui estiment qu’ils ne devraient pas être touchés par cette mesure.

« Nous ne voulons pas rencontrer les mêmes problèmes qu’en Australie, c’est pourquoi nous effectuons des tests maintenant pour nous assurer que lorsque nous allons implanter cette solution de façon permanente, elle fonctionnera comme prévu », a-t-elle fait valoir.

Or, le Wall Street Journal rapportait il y a un an que le retrait de pages d’hôpitaux, de services d’urgence et d’organismes de charité de Facebook en 2021 avait été fait délibérément pour mettre le maximum de pression sur le gouvernement australien. Ses élus s’apprêtaient alors à adopter la première loi à l’échelle internationale pour faire payer les géants du web pour le contenu repris des médias. Cette mesure qui avait causé le désordre à l’échelle du pays avait fait son effet, puisque le parlement australien avait amendé son projet de loi cinq jours plus tard pour exempter les plateformes de Meta.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a affirmé de nouveau lundi qu’il n’allait pas céder aux menaces. « Ce n’est pas parce qu’ils sont gros, parce qu’ils sont riches, que ça leur donne le droit de venir ici nous intimider, le gouvernement du Canada ou l’opposition ou au Sénat », a-t-il dénoncé lors de son témoignage en comité parlementaire. Il estime qu’il s’agit d’une attaque frontale contre « notre démocratie ».

« Nous avons signalé et affirmé très clairement depuis plusieurs mois maintenant que ce cadre n’est pas viable pour nous, a riposté Mme Curran, en entrevue. Nous devons maintenant passer à la prochaine étape de notre stratégie de conformité qui consiste à tester la solution que nous allons mettre en place. »

Elle a également souligné que l’entreprise fait preuve de transparence en avisant ses utilisateurs. Il y a quelques mois, Google avait soulevé un tollé en coupant l’accès aux nouvelles à environ un million de personnes. La mesure avait été appliquée en catimini et le moteur de recherche avait finalement fait marche arrière. Lorsqu’ils avaient été convoqués en comité parlementaire, ses représentants avaient eux aussi indiqué qu’il s’agissait de « tests », ce qui n’avait pas du tout convaincu les élus.

La plupart des députés qui siègent Comité permanent du patrimoine canadien avaient été tout aussi sévères à l’endroit des représentants de Meta il y a trois semaines.

Google et Meta accusent le Canada de nuire à la gratuité de l’internet en imposant un prix sur des hyperliens. Ce sont les deux géants du web qui seront directement touchés par C-18. Le directeur parlementaire du budget avait estimé que les médias d’information pourraient ainsi récolter 330 millions. Meta a soumis une série d’amendements aux sénateurs chargés d’étudier le projet de loi.

Plus tôt cette semaine, des dirigeants de grandes entreprises de presse ont plaidé en faveur de l’adoption rapide du texte législatif devant un comité du Sénat. Les géants du Web comme Google et Meta accaparent la grande majorité des revenus en ligne. Cette perte de revenus publicitaires fait mal aux salles de nouvelles. Québecor, Global News et Postmedia, qui détient le Montreal Gazette, ont tous annoncé des coupes dans leurs effectifs.

Selon le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, les géants du web ont brandi cette menace parce qu’ils veulent tuer dans l’œuf toute mesure législative qui pourrait inspirer le Congrès américain. « Je crois qu’ils ne veulent pas que cela soit repris aussi aux États-Unis », a-t-il relevé en comité sénatorial plus tôt cette semaine. Il a ajouté que rien n’empêcherait Google et Facebook de ne pas reconduire les ententes qui ont été conclues avec certains médias canadiens si le projet de loi C-18 n’est pas adopté.

Au Canada, Meta a déjà conclu des ententes avec 18 médias, dont Le Devoir, les six quotidiens des Coops de l’information et le Toronto Star en 2021.

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  • 24 millions
    Nombre d’usagers de Facebook et d’Instagram au Canada