La vidéoconférence mutile la cognition sociale. La capacité d’attention moyenne d’un être humain est passée entre 2000 et 2013 de 12 à 8 secondes, ce qui est plus faible que celle d’un poisson rouge. On retient moins d’information quand les textes contiennent des hyperliens.

Et des études ont signalé, surtout en Europe, une baisse globale du quotient intellectuel depuis 1975.

Mises bout à bout, ces informations semblent confirmer une perception très répandue et qui semble documentée : la technologie, et l’internet en particulier, nous rendent idiots. On pourrait y ajouter la perte de capacité d’orientation causée par les GPS, les troubles du sommeil causés par la lumière bleue et, pourquoi pas, le cyberharcèlement et la désinformation.

Alors, la technologie nous rend-elle idiots ?

Le mythe des 8 secondes

Réglons d’abord cette affirmation qui connaît son heure de gloire depuis 2015, selon laquelle la capacité d’attention moyenne de l’être humain serait passée de 12 à 8 secondes entre 2000 et 2013. Attribuée à Microsoft Canada et reprise par presque tous les grands médias de la planète, elle est fausse, ou du moins tout simplement invérifiable. Le rapport de Microsoft Canada existe bel et bien, mais la donnée est attribuée à un institut appelé Statistic Brain qui n’a jamais pu confirmer sa provenance. Un journaliste de la BBC a notamment contacté les trois organismes cités par Statistic Brain. Ils ignoraient également la provenance de cette statistique.

Ce qu’en pensent les humains

En 0,46 seconde, Google propose 87,7 millions de réponses à cette question posée en anglais. Elles vont évidemment dans tous les sens et peuvent alimenter toutes les thèses. En 2021, Britannica Group, qui publie l’encyclopédie du même nom depuis 1768, a jaugé 17 000 de ses lecteurs à ce sujet. Voici deux points saillants, apparemment contradictoires.

53,3 %

Proportion des répondants qui considèrent que leurs capacités d’attention et de concentration ont diminué depuis qu’ils sont sur l’internet.

63,2 %

Proportion des répondants qui ne sont pas inquiets que l’internet leur fasse perdre des capacités de base, comme les mathématiques ou la lecture de cartes.

Zoom froid

Comme les internautes, les scientifiques n’aiment pas répondre de but en blanc à cette question, simple en apparence, de la technologie qui rend idiot. Professeur au département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, Guillaume Dumas a participé à une vaste étude internationale souvent citée en exemple sur les méfaits des vidéoconférences. Elle a établi que les cerveaux de 62 mères et de leur enfant âgé de 10 à 14 ans étaient moins bien synchronisés lors d’une vidéoconférence que face à face.

PHOTO IDRIS SOLOMON, ARCHIVES REUTERS

Les experts appellent à la prudence avant de tirer des conclusions sur les méfaits des visioconférences.

Mais en entrevue, le professeur Dumas en appelle à la nuance pour tirer des conclusions. « Je ne veux pas qu’on diabolise les vidéoconférences, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces technologies ont quand même été très bénéfiques, on s’est aperçu pendant la pandémie qu’elles présentaient beaucoup d’avantages. » Son inquiétude concerne les capacités de cognition sociale des jeunes, dont les effets ne seront connus que dans plusieurs années. « Il faut être vigilant. Pour les enfants en bas âge qui développent leurs capacités de cognition sociale, le mode de vidéoconférence ne serait pas forcément le meilleur. »

Et pourtant, il baisse…

En 2018, une étude norvégienne avait constaté un déclin du quotient intellectuel à partir de 1975, et plusieurs pays européens ont constaté le même phénomène à partir de données obtenues dans le cadre de la conscription militaire. Les causes demeurent nébuleuses, et aucune étude semblable n’a été menée au Canada.

Nawal Abboub, docteure en sciences cognitives de l’Université Paris Cité et auteure de La puissance des bébés, paru en septembre dernier, invite à une lecture plus globale de ce phénomène. « Des méta-analyses, des compilations d’études nous ont montré que quand on regarde en moyenne le QI sur le plan mondial, nous ne voyons pas une baisse, mais une hausse à une vitesse qui croît plus lentement […] C’est plutôt une bonne chose : ça veut dire que les gens ont accès à un niveau d’éducation plus élevé. »

PHOTO NICOLAS TUCAT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Nawal Abboub, docteure en sciences cognitives de l’Université Paris Cité note que de façon mondiale, on voit une hausse du QI, notamment en raison d’un meilleur accès à l’éducation.

Elle estime que les tests de QI n’ont pas évolué suffisamment pour refléter l’évolution de la société. « On teste des choses sur lesquelles les enfants ne sont plus entraînés […]. Si une partie du programme change, on va avoir une baisse, mais ce n’est pas lié au fait que l’intelligence baisse. Ce sont les choses qui changent. »

Le paradoxe Google

Une autre étude souvent reprise, menée en 2008 à l’Université de Californie, montre à quel point un résultat peut être interprété différemment. En enregistrant l’activité cérébrale de 24 personnes faisant des recherches sur Google, on a établi que les habitués avaient une activité plus intense, particulièrement dans le cortex préfrontal. Des auteurs y ont vu la démonstration que cette suractivité s’effectuait au détriment de la concentration et de l’acquisition de connaissances moins superficielles.

PHOTO DENIS CHARLET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En enregistrant l’activité cérébrale de 24 personnes faisant des recherches sur Google, on a établi que les habitués avaient une activité plus intense, particulièrement dans le cortex préfrontal.

Ce n’est pas l’interprétation d’Emmanuelle Parent, docteure en communication et directrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne. « Même si on est plus rapides, on développe des compétences d’esprit critique. Ce sont de nouvelles compétences qu’on a acquises. C’est clair que notre intelligence est appelée à évoluer. »

PHOTO MARCO BERTORELLO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’interface de ChatGPT

Guillaume Dumas, également titulaire de la chaire IVADO en intelligence artificielle et santé mentale, se méfie toutefois de la facilité avec laquelle les étudiants ont maintenant accès aux réponses. « Ils peuvent maintenant résoudre des exercices qu’on leur propose avec ChatGPT ou l’IA de manière plus rapide, mais, du coup, ils n’apprennent pas l’exercice […] Les étudiants ont tendance à être rapidement contents du résultat et ça court-circuite l’apprentissage de l’esprit critique. »

« Flexibles », mais pas idiots

Il est évident que les innovations technologiques ont rendu certaines tâches moins nécessaires. Les effets sur la mémoire, notamment, sont au cœur de bien des inquiétudes. « Il y a des compétences qu’on a moins besoin de travailler qu’avant, et d’autres pour lesquelles on devient plus avertis, estime Emmanuelle Parent. On se rappelle moins les numéros de téléphone et les rendez-vous, mais c’est moins nécessaire qu’avant. C’est humain : on n’est pas stupides, on veut économiser cette énergie pour la mettre ailleurs. »

PHOTO ANDREW TESTA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Il est évident que les innovations technologiques ont rendu certaines tâches moins nécessaires.

Malgré les grands titres, aucune preuve scientifique n’existe pour lier la technologie au déclin de nos capacités intellectuelles, martèle Tony Chemero, professeur aux départements de philosophie et de psychologie de l’Université de Cincinnati. Mais ces capacités ne s’atrophient-elles pas quand elles sont inutilisées ? « Nous sommes très flexibles, répond-il. Si soudainement je n’ai pas internet et Google Maps, je pourrais réapprendre. » La première technologie humaine a été le langage, analyse-t-il, et Socrate craignait que l’écriture fasse disparaître la mémoire. « Ce que les humains savent faire, c’est s’adapter à des situations différentes. Les catastrophes peuvent survenir […], mais nous pourrions nous débrouiller, nous sommes très bons là-dedans. »

La technologie : pour ou contre ?

Pour

  • Toutes les technologies ont suscité des craintes à leur apparition, et elles se sont avérées largement infondées.
  • L’internet donne à diverses populations un accès égal à l’information.
  • Changer le fonctionnement de notre cerveau et la façon d’accéder et de traiter l’information n’est pas nécessairement mauvais.

Contre

  • La rapidité et l’omniprésence de l’internet sont différentes des technologies disruptives passées et reprogramment notre cerveau pour le pire.
  • Les statistiques de quotient intellectuel baissent et coïncident avec l’apparition de technologies.
  • L’internet nous fait perdre la capacité d’accomplir des tâches simples.

Source : ProCon.org (Britannica)