(Washington) Shou Chew, le patron de TikTok, filiale du groupe chinois ByteDance, a tenté difficilement jeudi de défendre son application, face à des élus américains intraitables, qui avaient pour la plupart condamné d’avance la plateforme menacée d’interdiction totale aux États-Unis.

« J’imagine que vous allez dire tout ce que vous pouvez aujourd’hui pour éviter ce résultat », a déclaré d’emblée Cathy McMorris Rodgers, la présidente de la puissante commission parlementaire de l’Énergie et du Commerce, qui a convoqué le dirigeant pour une audition.

« On ne vous croit pas », a-t-elle assené. « ByteDance est redevable au Parti communiste chinois et ByteDance et TikTok, c’est la même chose. »

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La présidente de la commission parlementaire de l’Énergie et du Commerce, Cathy McMorris Rodgers

Le dirigeant singapourien, diplômé de Harvard, a subi un interrogatoire particulièrement pugnace de la part des représentants qui ont présenté, exceptionnellement, un front uni.

« Monsieur Chew, bienvenue à la commission la plus transpartisane du Congrès. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur la méthode, mais nous voulons tous protéger notre sécurité nationale, notre économie et surtout nos enfants », a souligné le républicain Buddy Carter.

Pendant plus de cinq heures, les élus n’ont presque pas laissé parler l’ancien banquier. Selon eux, le Parti communiste chinois se sert de TikTok à des fins d’espionnage et de manipulation.  

La Maison-Blanche, la Commission européenne, les gouvernements canadien et britannique et d’autres organisations ont récemment interdit à leurs fonctionnaires de l’utiliser.

Shou Chew a promis que d’ici la fin de l’année, toutes les informations liées aux 150 millions d’utilisateurs américains seraient gérées uniquement à partir des serveurs du groupe texan Oracle, situés aux États-Unis.  

Mais il a dû reconnaître que la plateforme a encore d’anciennes données accessibles par des employés chinois.

Influence du gouvernement communiste de Pékin

« Le gouvernement chinois ne possède pas et ne contrôle pas ByteDance. C’est une entreprise privée », a-t-il cependant insisté.

La représentante Anna Eshoo a qualifié ses arguments de « grotesques ». « Je ne crois pas qu’il existe réellement un secteur privé en Chine », a-t-elle dit, évoquant la loi chinoise qui impose aux entreprises du pays de partager leurs données si Pékin le leur demande.

« Je crois quand même que le gouvernement communiste de Pékin aura toujours le contrôle, et la capacité d’influencer ce que vous faites », a de son côté martelé l’élu démocrate Frank Pallone.

Plusieurs projets de loi, soutenus à droite et à gauche, sont dans les tuyaux pour interdire TikTok. La Maison-Blanche a laissé entendre que si TikTok restait dans le giron de ByteDance, elle serait interdite.

Avant l’audition, le ministre chinois du Commerce a fait savoir qu’il s’opposerait « fermement » à une vente forcée, soulignant que toute cession de TikTok nécessiterait l’approbation de Pékin.

Le patron a aussi affronté de nombreuses questions sur les responsabilités de TikTok concernant la santé mentale et physique des plus jeunes, des risques de dépendance aux dangereux défis que se lancent les utilisateurs.

« Votre entreprise a détruit leurs vies », a déclaré Gus Bilirakis, en désignant les parents d’un adolescent mort, venus assister à l’audition. Ils ont porté plainte contre la plateforme, qu’ils accusent d’avoir montré des milliers de vidéos non sollicitées sur le suicide à leur fils.  

« Votre technologie entraîne littéralement des morts », a lancé le représentant.

Liberté en ligne

« Le sort de TikTok aux États-Unis est plus incertain que jamais après cet interrogatoire exténuant de Shou Chew », a réagi l’analyste Jasmine Enberg d’Insider Intelligence.

« Il n’y a pas grand-chose qu’il aurait pu dire pour convaincre les législateurs que TikTok n’est pas contrôlée ou influencée, directement ou indirectement, par le Parti communiste chinois. »

L’application et plusieurs associations estiment qu’une interdiction complète – comme en Inde depuis 2020 – relèverait de la censure.

« Interdire TikTok saperait profondément la crédibilité des États-Unis en tant que défenseur de la liberté en ligne », ont affirmé 16 ONG dans une lettre adressée au Congrès mercredi.

« Pourquoi autant d’hystérie autour de TikTok ? », a demandé mercredi soir le représentant démocrate Jamaal Bowman, lors d’une conférence de presse avec des créateurs de contenus venus défendre leur réseau préféré.

La plateforme présente les mêmes risques pour la confidentialité des données, la santé des utilisateurs ou la désinformation que « Facebook, Instagram, YouTube et Twitter », a fait valoir l’élu, appelant à une « conversation honnête sur tous les réseaux sociaux ».

De nombreux influenceurs craignent de perdre tout ou partie de leurs revenus, et la base d’admirateurs qu’ils ont assemblée.

Duncan Joseph, comédien de 20 ans, a expliqué à l’AFP qu’il n’aurait jamais pu construire sa « communauté » sur les autres plateformes, qu’il juge moins « authentiques ».  

« Sur TikTok, tout le monde peut devenir une superstar », a dit le créateur de contenus.