Né à peine deux semaines après l’acquisition de Twitter par Elon Musk, un tout nouveau réseau social veut profiter de la tourmente : Post News. Derrière la forme semblable se cache cependant un tout autre modèle, où le créateur de contenu peut être payé et dont le but est de « réduire l’espace entre les nouvelles et les réseaux sociaux » tout en garantissant un environnement respectueux. Cinq publications de moins de 280 mots pour comprendre.

D’où vient Post News ?

Le 14 novembre, ironiquement sur Twitter, Noam Bardin a annoncé le lancement en mode test (« bêta ») d’un tout nouveau réseau social, Post News.

Lisez le tweet de Noam Bardin (en anglais)

Peu connu du grand public, Noam Bardin, 51 ans, a été vice-président, produits chez Google de 2013 à 2021. Durant ce mandat, à partir de 2017, il a également été grand patron (« Chief Wazer ») de Waze, qui appartient à Google depuis 2013.

Le financement, d’un montant qui n’a pas été dévoilé, a été assuré par le fonds de capital-risque Andreessen Horowitz, également connu sous le sigle a16z. Le paradoxe, c’est que ce fonds a également fourni 400 millions US pour l’achat de Twitter par Musk. Le fonds a16z crypto est également un important investisseur dans les cryptomonnaies et le web3, avec des levées totalisant 7,6 milliards US en neuf ans. M. Bardin s’est défendu d’être « un grand amateur » de cryptomonnaies.

« Post News, on le voit, est vraiment ancré dans un système capitaliste fonctionnel, note Laurence Grondin-Robillard, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chargée de cours à l’École des médias. Je trouve ça opportuniste. Ce n’est pas nécessairement négatif, mais j’aurais attendu un peu avant le lancement. »

Quel est le concept de base ?

D’abord, tout comme Twitter, il s’agit d’un fil dans lequel on peut publier des messages, s’abonner à certains comptes dont on peut transférer les publications à ses propres abonnés, les approuver avec un pouce levé ou entamer une discussion. Mais on note rapidement deux différences fondamentales : on peut donner un « pourboire » (tip) à l’auteur d’une publication, et celui-ci peut dès la publication demander aux intéressés une somme à payer, en points, pour qu’ils puissent la lire. Ces points peuvent être obtenus en payant par carte de crédit ou reçus d’autres utilisateurs. Un point correspond tout simplement à 1 ¢ US. Quand on en a accumulé 5000, ou 50 $ US, on peut les encaisser en passant par un intermédiaire, Stripe.

CAPTURE D’ÉCRAN

Exemple de création de publication payante

Un survol de notre fil Post ne nous a pas permis de trouver beaucoup de publications payantes, qui semblent encore très rares. Reuters, notamment, demande 5 ou 3 points pour certaines nouvelles.

CAPTURE D’ÉCRAN

Une publication payante de Reuters

Et c’est tout ? Des publications contre des points encaissables ?

Pas du tout. Ça, ce n’est que la mécanique de Post. La philosophie de ce nouveau réseau social a été résumée par un de ses hauts responsables, Andrew Zalk. Il s’agit d’« un endroit pour que les gens découvrent, observent, discutent et partagent du contenu de nouvelles de qualité sans abonnement ou publicité ».

Bien qu’on y retrouve du contenu plus anodin, comme des souhaits de santé pour les Fêtes ou des blagues sur les animaux de compagnie, la majeure partie des publications renvoient à l’actualité.

L’autre grand principe, évidemment dans le contexte où Twitter permet des contenus autrefois bannis, est d’éviter les publications jugées toxiques. Les « Posters », nom donné aux abonnés de ce réseau, peuvent signaler leur désaccord, mais sans dénigrer leur interlocuteur ou l’insulter pour son genre, son orientation sexuelle ou son appartenance ethnique.

Pour Mme Grondin-Robillard, qui a pu ouvrir son compte ce jeudi, tout n’est pas rose. Elle a débusqué après de longues recherches les politiques d’utilisation des données de la plateforme, qui lui semblent suspectes. « Il y a beaucoup de collecte de données. Ils en utilisent autant que les autres, mais ils n’ont pas de publicités. À qui vont-ils les vendre ? »

Et la modération est efficace ?

Le fondateur Noam Bardin le reconnaît dans plusieurs publications, le défi est de taille. « C’est un jeu du chat et de la souris, écrit-il. Les mauvais joueurs dans notre espace ont eu 15 ans pour affiner leurs compétences. » Il demande aux Posters de signaler toute publication offensante, et de ne pas encourager leurs auteurs. « Si vous rencontrez un troll en liberté, signalez-le et ignorez-le, ne vous engagez pas [dans un échange avec lui]. »

C’est une des raisons pour lesquelles on a volontairement bridé l’accès à Post depuis son lancement. En date du 21 décembre, le plus récent bilan fait état d’une liste d’attente de 610 000 personnes qui ont demandé un compte, et de 309 000 qui ont été acceptées. 60 heures après sa demande, l’auteur de ces lignes a pu finalement obtenir un compte. Post News est encore embryonnaire et bien des fonctions, notamment une application mobile et un fil réservé au contenu premium, sont encore en préparation.

Post News menace-t-il vraiment Twitter ?

On a 309 000 abonnés acceptés d’un côté et 259,4 millions d’utilisateurs quotidiens de l’autre, sur Twitter, selon le dernier bilan livré par Elon Musk le 22 novembre dernier… Un mois après sa naissance, Post n’est manifestement pas dans la même ligue. Mais un autre rival, Mastodon, a eu une croissance explosive, passant de 300 000 utilisateurs en octobre à 2,5 millions le 20 décembre dernier, selon un message publié par son fondateur, Eugen Rochko. Un autre réseau social, Hive Social, a lui aussi profité de la tempête Twitter pour atteindre le million d'utilisateurs, a-t-il annoncé le 21 novembre dernier.

Le verdict de Laurence Grondin-Robillard : « Je vais rester, mais avec des réserves. J’essaie d’être prudente. Je ne dirais pas à des gens qui veulent quitter Twitter d’aller sur Post. » Elle a par exemple noté que Post a créé des coquilles vides, des comptes inutilisés pour certains médias comme le New Yorker où on invite les « Posters » à s’abonner pour convaincre ces éditeurs d’être actifs sur le nouveau réseau social. Sans une seule publication, le compte du New Yorker a déjà 22 410 abonnés. « Je n’aime pas cette technique agressive pour aller chercher des médias. »