Il y a 25 ans, l’entreprise française Ubisoft ouvrait à Montréal ce qui allait devenir le plus gros studio de jeu vidéo au monde. Entre l’âge d’or des premiers Assassin’s Creed et les accusations de climat toxique en 2020, La Presse a fait le point avec le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot, et le directeur général du studio, Christophe Derennes.

Pourquoi Ubisoft a-t-elle choisi Montréal en 1997 ?

Yves Guillemot : Ce que nous voulions, c’est être en Amérique du Nord. Il y a eu un concours de circonstances, on venait de s’installer en Chine, on a eu un appel de [Sylvain] Vaugeois, qui était un lobbyiste à l’époque très influent et très convaincant. Il s’était donné l’objectif de faire entrer le Québec dans le jeu vidéo. Il nous a contactés.

Connaissiez-vous Montréal ?

Au premier meeting, nous n’étions pas nécessairement prêts. J’étais déjà venu au Québec, j’avais une affection très forte, quand j’étais venu tout seul, sac au dos. J’avais beaucoup apprécié les personnes que j’avais rencontrées, qui étaient beaucoup plus proches de nos racines. Moi, je suis Breton, et je retrouvais beaucoup les mêmes traits. On a pu continuer les discussions. C’était un moyen, pour une entreprise française, d’utiliser la même langue pour apprendre le marché nord-américain.

Un studio de 4000 employés, comme l’est devenu Ubisoft Montréal, c’est presque une anomalie, les plus grands studios dépassent rarement le millier d’employés. Quels sont les avantages ? N’y a-t-il pas un risque de construire un aussi grand paquebot ?

YG : Le studio a eu beaucoup de succès très vite, il a grandi avec les marques, et plus on créait des marques, il fallait que les équipes continuent.

Christophe Derennes : On a pu compter sur des gens qui avaient envie, qui avaient une énergie phénoménale, qui disaient : « On veut faire du jeu vidéo, on peut le faire ici, on n’a pas besoin de s’expatrier aux États-Unis. » Le succès appelle le succès. C’est une des raisons pour lesquelles le Québec est devenu le troisième pôle du jeu vidéo au monde.

Comment voyez-vous l’avenir d’Ubisoft ?

YG : Il y a eu beaucoup de changements dans cette industrie, il faut tout le temps se réinventer. Ce que l’on vit, c’est qu’on a des jeux qui peuvent durer de cinq à dix ans, avec des revenus réguliers. L’objectif d’Ubisoft aujourd’hui, c’est de faire en sorte que les jeux que l’on crée puissent continuer à divertir les joueuses et les joueurs, parce qu’ils trouvent du plaisir à revenir dans cet univers. La stratégie est de faire que nos marques deviennent plus grosses. Ce qui n’empêche pas d’en créer de nouvelles, mais l’objectif est de concentrer nos efforts.

Vous avez eu un âge d’or, de 2009 à 2014, où ce sont surtout des épisodes d’Assassin’s Creed qui remportaient beaucoup de prix. Ça semble plus discret depuis…

YG : Si vous regardez l’industrie, il se produit moins de nouveaux jeux depuis un moment. Les jeux, par contre, génèrent des revenus plus importants. L’écosystème a changé : vous avez beaucoup plus de jeux multijoueurs, vous devez apporter une diversité importante. Ça fait que les jeux prennent plus de temps à être réalisés.

L’action d’Ubisoft a perdu près des deux tiers de sa valeur depuis son sommet de 103 euros en 2018. Que s’est-il passé ?

YG : C’est un marché qui change, et il faut s’adapter. Là, depuis quelques années, nous sommes dans la construction de ces nouvelles expériences qui vont sortir dans les mois et années qui viennent.

Vous êtes dans la tourmente depuis 2020, avec des accusations de harcèlement et de climat toxique. Considérez-vous avoir réglé le problème ?

YG : On avance vraiment à bon rythme. On en parle moins, nous, dans l’entreprise. On a mis en place des systèmes qui permettent de régler les problèmes qu’il a pu y avoir. On avance très bien pour faire en sorte que la vie dans l’entreprise soit comme tout le monde le souhaite. On a une structure indépendante qui permet d’aller dire quand quelque chose ne va pas.

CD : Ce sont surtout des processus et des programmes qui sont là pour de bon.

Pourquoi l’industrie du jeu vidéo est-elle autant touchée par ces comportements toxiques ?

YG : Parce que créer un jeu vidéo n’est pas quelque chose de facile. Il y a du « challenge », de temps en temps beaucoup de tension. Il faut mettre en place des techniques pour faire en sorte que tout le monde réussisse à bien trouver sa place. Pour créer, il faut un petit peu de friction, parce qu’il faut que chacun réussisse à faire passer son idée. C’est un métier qui apporte énormément de récompenses quand on réussit, mais qui est difficile.