Le dernier bébé d’Ubisoft Montréal, Roller Champions, est d’abord un jeu gratuit de sport, bourré d’action et au design combinant futurisme et arcades des années 1980. Mais il est aussi un hommage rafraîchissant à la diversité, où les joueurs ont accès à des personnages de toutes les origines ethniques aux formes corporelles moins stéréotypées. Entrevue avec le directeur artistique Joel Dos Reis Viegas, pour qui « rien n’est calculé » dans ce jeu, sorti alors qu’Ubisoft a connu la tourmente depuis 2020.

Roller Champions, qui sera lancé ce mercredi, est une première aventure du genre pour Ubisoft Montréal. Ce jeu gratuit au téléchargement, offert pour PlayStation, Xbox et PC, donne la possibilité à six joueurs en ligne de s’affronter dans une compétition étourdissante sur rollers. Ils se bousculent sur une piste ovale, font des sauts acrobatiques et doivent lancer le ballon dans un anneau pour gagner.

Les revenus, comme dans tout jeu « freemium », proviennent essentiellement des améliorations cosmétiques offertes.

Femmes fortes

En ramenant le directeur artistique Joel Dos Reis Viegas, qui a notamment créé la série d’animation remarquée Urbance après avoir œuvré chez Ubisoft Montréal de 2006 à 2008, on s’est en outre assuré d’un ton tout à fait unique pour ce jeu étiqueté « néo-rétro ».

PHOTO FOURNIE PAR UBISOFT

Joel Dos Reis Viegas, directeur artistique du jeu Roller Champions

Et au premier plan, l’injection d’une dose de diversité qui allait de soi pour cet artiste. Le joueur a le choix entre six types de physique, du plus mince au plus enrobé, trois féminins et trois masculins, représentant divers types ethniques. Les cascades ont été filmées en capture de mouvement, surtout d’adeptes féminines de roller derby. « Ce n’est jamais une volonté de devoir absolument représenter tout le monde, c’est juste une opportunité, explique le directeur artistique. Quand tu fais un jeu sur les Vikings, tu ne vas pas mettre des guerriers masaï. Je voulais représenter tous les types possibles de skaters qu’on peut avoir dans la société. En faisant mes recherches, je me suis aperçu qu’il y avait des femmes fortes, avec des cuisses musclées, des hommes fins et longilignes. »

Le jeu n’a évidemment pas le mandat d’être un manifeste pour la diversité, le premier objectif étant de le rendre accrocheur. On a ainsi complètement inventé un sport, fortement inspiré du rollerball au cœur de deux films lancés en 1975 et en 2002. Il s’agit d’« un jeu de gladiateurs modernes », résume M. Dos Reis Viegas, très intense, mais avec une violence sans armes qui tient plus du jeu Nintendo.

Joueurs emballés

Les règles, précise-t-il, changeront peu les premiers mois, pour permettre aux joueurs de les maîtriser. Par la suite, une équipe d’une centaine de personnes chez Ubisoft aura le mandat de maintenir l’intérêt en proposant des nouveautés.

Ce qu’on a constaté d’entrée de jeu, avec les joueurs recrutés pour les tests, c’est qu’ils appréciaient le fait de pouvoir choisir des types physiques moins conventionnels. « Je trouvais intéressant de faire des corps qui ont des courbes, ne pas arriver avec des pectoraux en V. J’ai voulu casser le cliché, essayer d’être plus proche de la réalité. Je me suis rendu compte que les joueurs adorent ça : ils s’affichent, les femmes peuvent se présenter comme elles sont, maigres, moyennes, costaudes. »

Difficile de ne pas voir ici une tentative d’Ubisoft de redorer son blason après une controverse dévastatrice qui a secoué le studio en 2020, sur fond d’allégations de harcèlement sexuel et de climat de travail toxique. Joel Dos Reis Viegas rappelle cependant que le projet est né il y a quatre ans, avant la tempête, et qu’il a lui-même souvent mis en scène auparavant des personnages issus de la diversité.

« Quand Ubisoft est venu me chercher, ils étaient conscients que j’ai toujours eu cette vision dans mon travail. Rien n’est calculé, tout est ressenti. On fait attention, mais on ne force pas le trait. On a vraiment fait ce qu’on voulait, je pense qu’on est authentiques, et c’est important. »

Un geste « encourageant »

Même assurance du côté du porte-parole montréalais d’Ubisoft, Antoine Leduc-Labelle. « Il n’y a pas de lien de corrélation, on ne s’est pas dit : ‟On a des problèmes de harcèlement, on va faire un jeu diversifié.” […] Il s’agit plutôt de représenter notre société. C’est un cercle vertueux : on offre ça, de manière respectueuse et intelligente, et on voit que nos joueurs aiment ça. »

Gabrielle Trépanier-Jobin, professeure de jeux vidéo et industries culturelles à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, trouve « encourageant » qu’un grand studio comme Ubisoft fasse ainsi la promotion de la diversité dans un de ses jeux. « Est-ce que c’est un geste politique ? Ce n’est pas la question. Ils ont vu que pour les joueurs, c’est important, ils ont vu que les joueurs et les joueuses étaient rendus là. Le message de la société a été compris. »

Il ne s’agit toutefois pas d’un jeu narratif, rappelle-t-elle, mais d’un jeu de sport qui se prête mieux à la représentation de la diversité. « Mais c’est déjà une sensibilité qu’on n’avait pas du tout il y a à peine cinq ans. »