Prolifique dans la création de jeux vidéo grâce à ses quelque 300 studios, le Québec fait pâle figure pour ce qui est de leur mise en marché.

Ce constat, qui touche surtout les 269 petits studios de la province selon le dernier décompte en 2021 de l’Association canadienne du jeu vidéo, a poussé deux vétérans de l’industrie, Christopher Chancey et Pascal Nataf, à poser les bases de ce qui pourrait devenir le premier éditeur québécois, Indie Asylum. Ce regroupement d’une dizaine de studios créé en 2019 lancera le 29 mars prochain le premier jeu de son écurie, Forward : Escape the Fold. Conçu par le studio indépendant Two Tiny Dice, le jeu a profité des ressources fournies par Indie Asylum pour le volet artistique, et compte sur le soutien du regroupement pour le marketing et les relations publiques.

Au total, ce sont 150 professionnels de l’industrie du jeu vidéo, des développeurs aux organisateurs d’évènements en passant par des spécialistes en marketing ou en réalité virtuelle, qui sont mis à la disposition des studios d’Indie Asylum.

« C’est un premier pas vers un premier éditeur québécois, explique Pascal Nataf, cofondateur d’Indie Asylum et président du studio indépendant Affordance. Beaucoup de gens s’entendaient sur la nécessité d’en avoir un. On est vraiment impliqués dans toute la chaîne de valeur sauf celle-là, qui est potentiellement la plus importante : c’est la dernière étape entre le studio et le consommateur. »

Changer le modèle d’affaires

L’édition et la distribution des jeux vidéo sont des étapes plutôt mystérieuses pour le commun des joueurs, et rarement bien maîtrisées par les petits studios. Ceux-ci ont généralement recours à de grandes firmes, toutes à l’étranger, comme Private Division, Devolver Digital, Team17 ou Tencent. Ces éditeurs vont parfois financer les jeux à leur dernière étape de conception pour ensuite les distribuer et en faire la promotion.

« Ils ont le beau rôle, ils arrivent quand le projet ne présente plus de risque, explique M. Nataf. Les développeurs, on se retrouve dans un cercle vicieux : on va chercher de l’argent à l’international parce que c’est tellement difficile de trouver du financement pour le jeu vidéo, et quand on finalise un projet, de 50 à 60 % des revenus vont à l’éditeur. »

On voudrait changer le modèle d’affaires pour que ce soit bon pour les développeurs.

Pascal Nataf, cofondateur d’Indie Asylum

Depuis 2017, Pascal Nataf et Christopher Chancey ont investi dans plusieurs petits studios, notamment Trebuchet, qui fait sa marque dans la réalité virtuelle, et Chasing Rats Games, qui a connu un beau succès avec son premier jeu, Struggling. La plupart de leurs protégés avaient un point commun : « On parle de jeunes de 25 ans qui sortent de l’université avec très peu d’expérience, explique M. Chancey, fondateur du studio ManaVoid et président de la Guilde du jeu vidéo du Québec. Souvent, le dernier point qui manque, ce sont les aptitudes managériales. Les gens entrent dans ce domaine par passion, ce sont des artistes, ils ont parfois travaillé dans de grands studios, mais ils manquent de connaissances en gestion. »

Créativité et bienveillance

Il s’agit d’un autre volet dont Indie Asylum veut s’occuper, en offrant du mentorat et de la formation à ces artisans. En conservant les profits au Québec, M. Chancey espère pouvoir alimenter une industrie plus robuste.

« Pour avoir un écosystème fort, il faut qu’il y ait des gens qui aient réussi en affaires et qui réinvestissent. […] On pense que c’est le prochain vecteur de croissance pour le Québec. »

On sait qu’on est capables de faire des jeux vidéo, maintenant il faut qu’on devienne meilleurs, que les profits restent ici, que les impôts soient payés ici.

Christopher Chancey, cofondateur d’Indie Asylum

Quatre-vingt-sept pour cent des emplois dans le domaine du jeu vidéo sont liés à des entreprises dont le siège social est à l’étranger, rappelle-t-il.

Dans une industrie qui a connu son lot de controverses ces dernières années, où des artisans et des femmes ont dénoncé le harcèlement et le climat toxique dans plusieurs studios, les deux fondateurs d’Indie Asylum insistent pour que les valeurs humanistes soient incontournables. Il ne s’agit pas de mots creux pour M. Chancey, dont le studio, ManaVoid, a lancé l’automne dernier Rainbow Billy, un adorable jeu qui met en scène un petit personnage timide et non binaire. « Au cœur de ce qu’on fait, il y a la créativité, la bienveillance, l’innovation et la solidarité. »

En savoir plus
  • 13 500
    Nombre d’emplois directs dans les entreprises de jeux vidéo au Québec en 2021
    SOURCE : ASSOCIATION CANADIENNE DU LOGICIEL DE DIVERTISSEMENT