Vous fieriez-vous à des notes parfaites de cinq étoiles laissées sur l’App Store d’Apple par des milliers d’utilisateurs aux noms aussi bizarres que « Keyston Tiddemansskbjv » ou « Alve Gillicuddybqjgw » ? Comment qualifier une application gratuite au téléchargement qui pourrait vous coûter 520 $ US par année si vous oubliez d’annuler votre abonnement hebdomadaire ?

Ces faits troublants concernent l’application montréalaise à succès AmpMe, fondée en 2014 puis lancée en 2015 par l’ex-dragon Martin-Luc Archambault. AmpMe offre la diffusion partagée de pièces musicales à partir de Spotify, de YouTube ou de sa bibliothèque personnelle sur plusieurs téléphones qui ont téléchargé l’application.


SAISIE D’ÉCRAN DE L’APPLI AMPME

AmpMe permet, depuis 2015, la diffusion partagée de pièces musicales à partir de Spotify, de YouTube ou de sa bibliothèque personnelle sur plusieurs téléphones qui ont téléchargé l’application.

C’est un développeur américain bien connu pour ses critiques de la boutique virtuelle d’Apple, Kosta Eleftheriou, qui a publié le 10 janvier dernier une enfilade de messages sur Twitter dénonçant plusieurs pratiques d’AmpMe.

Lisez les tweets de Kosta Eleftheriou (en anglais)

33,5 millions de téléchargements

En premier lieu, le développeur a passé en revue des milliers de notes parfaites considérées comme suspectes, qui ont accordé cinq étoiles à AmpMe depuis son lancement et lui ont permis de figurer au sommet des applications musicales pendant plusieurs années. Selon le site Apptopia, cité par le média en ligne TechCrunch, elle aurait été installée 33,5 millions de fois depuis son lancement.

Ce succès, explique M. Eleftheriou sur plusieurs tweets, repose en grande partie sur des critiques positives manifestement fausses, au libellé semblable et signées par de soi-disant utilisateurs aux noms parfois loufoques. Il évalue leur nombre à environ 10 000. Elles ont permis à AmpMe d’afficher une note globale de 4,3 étoiles.

IMAGE TIRÉE DE TWITTER

Un florilège des critiques positives recueillies par l’application AmpMe sur l’App Store, présenté dans les tweets de Kosta Eleftheriou, développeur américain critique de la boutique virtuelle d’Apple.

« Votre appli devient la 135e plus payante sur l’App Store, générant plus de 13 millions depuis 2018 », résume M. Eleftheriou. L’estimation de revenus de 13 millions US provient du site AppFigures. Apptopia, autre site spécialisé cité par TechCrunch, l’a plutôt établie à 16 millions US.

Deux jours après la publication de sa série de tweets, M. Eleftheriou a par ailleurs relevé qu’on faisait de toute évidence un « ménage manuel » dans les critiques publiées sur l’App Store. De 54 080 au moment de sa sortie, on est passé à 50 693.

Tarif réduit de moitié

Jusqu’en début de semaine, AmpMe offrait un essai gratuit de trois jours aux États-Unis, puis un abonnement renouvelable automatiquement de 9,99 $ US par semaine, soit « 520 $ par année pour un abonnement qui se renouvelle tout seul, facile d’inscription, mais bien plus difficile à annuler », dénonce le développeur.

Fait à noter, il n’existe pas de formule d’abonnement payante pour les utilisateurs au Québec, rappelle-t-on chez AmpMe. « AmpMe a toujours été gratuite pour les utilisateurs du Québec », écrit-on dans une déclaration envoyée à La Presse.

Le lendemain de cette sortie, AmpMe a publié une nouvelle grille tarifaire pour les États-Unis, réduisant de moitié l’abonnement hebdomadaire, qui s’établit maintenant à 4,99 $ US.

Dans la déclaration écrite envoyée à La Presse vendredi dernier signée par « l’équipe AmpMe », on assure que le fait d’indiquer que les utilisateurs américains paient couramment 520 $ par année « ne reflète pas du tout la réalité ».

« C’est manifestement faux. Par exemple, en 2021, l’utilisateur moyen qui s’est abonné et a profité de notre période d’essai gratuit a payé en moyenne un total de 17 $. Si l’on ne tient compte que des utilisateurs payants, le revenu moyen de l’abonnement annuel est d’environ 75 $. »

On estime que la tarification est « transparente » et que les procédures d’annulation et de désabonnement « sont claires et faciles à effectuer selon la procédure mise en place par Apple pour toutes les applications sur l’App Store ». Comme dans bien des cas, le désabonnement ne s’effectue pas dans l’application, mais dans un sous-menu des réglages des appareils mobiles.

Deuxième controverse

Quant aux accusations d’avoir acheté de fausses bonnes notes, on fait acte de contrition. « Comme la plupart des start-up, nous avons engagé des consultants indépendants externes pour nous aider dans le marketing et l’optimisation de l’App Store. Une plus grande supervision de leurs activités est possiblement nécessaire et nous y travaillons actuellement. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Martin-Luc Archambault, entrepreneur montréalais qui s’est fait connaître du grand public grâce à l’émission Dans l’œil du dragon de 2015 à 2018, a fondé Wajam en 2009, puis AmpMe en 2014.

Ce n’est pas la première fois qu’une application conçue par Martin-Luc Archambault est dans la tourmente. En 2018, La Presse, sous la plume de la journaliste Isabelle Hachey, révélait qu’un logiciel présenté comme un « moteur de recherche sociale à succès », Wajam, stockait en fait les données brutes de millions d’utilisateurs sans leur consentement. En multipliant les installations et en déclenchant des affichages publicitaires intempestifs, ce logiciel était considéré comme un « logiciel potentiellement indésirable », notait un rapport d’enquête du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada déposé en 2017.

Wajam avait été fondée en 2009 par M. Archambault avant que tous ses actifs soient vendus en 2017 à une entreprise de Hong Kong.

Il n’a pas été possible de joindre M. Archambault.