L’outil de travail principal des artisans du jeu vidéo, le « moteur de jeu », repose sur des bases développées il y a deux décennies. C’est du moins le constat qu’ont fait deux vétérans montréalais de l’industrie et anciens de Google-Stadia, qui ont décidé d’y remédier en proposant un moteur de jeu 100 % infonuagique et conçu au Québec, qu’ils présentent comme « disruptif ».

François Pelland et Jalal El Mansouri annoncent ce jeudi le lancement de Legion Labs, qui concevra son propre moteur de jeu, qu’on veut d’abord offrir aux studios du Québec. La nouvelle entreprise compte sur le partenariat et l’appui financier d’un géant chinois de l’internet, Tencent, devenu le plus important éditeur de jeux vidéo du monde, avec 12 % de part de marché en 2020.

« Le moteur de jeu, c’est ce qui est utilisé tous les jours par l’animateur, le designer, le programmeur, explique en entrevue François Pelland. C’est central, névralgique. Mais on a constaté un gros problème, une frustration avec ces moteurs qui utilisent une architecture qui date de 15 ou 20 ans. Notre vision, c’est de bâtir le moteur du futur. »

Fini les « grosses machines »

Le projet de Legion Labs est « super ambitieux », prévient M. Pelland, PDG de la nouvelle entreprise. Son complice Jalal El Mansouri en sera le chef de la technologie. Le moteur de jeu, traduction littérale de l’expression anglaise game engine, est essentiellement une plateforme informatique qui contient plusieurs modules pour gérer les animations, le son et les commandes d’un jeu vidéo.

Au lieu de tout programmer en partant de zéro, les artisans ont accès à des modèles qui vont, par exemple, simuler le mouvement de l’eau, mixer et synchroniser l’audio et établir des paramètres de vitesse ou de pesanteur. Il existe des centaines de moteurs, les plus connus étant Unity et Unreal Engine, et la plupart des grands studios ont développé le leur.

Or, note dans un premier temps M. Pelland, les composants de ces moteurs de jeu sont essentiellement installés localement, sur chaque poste de travail. « Ça prend de super grosses machines. »

Le pari de Legion, c’est qu’il s’agira d’un moteur de jeu entièrement installé en infonuagique, utilisant la puissance des serveurs à distance plutôt que les ordinateurs locaux.

L’avantage évident, c’est qu’une mise à jour du moteur de jeu ne nécessitera pas des modifications sur tous les ordinateurs moins puissants qui l’ont installé. « Ça va réduire de façon importante les coûts de maintenance : ce processus peut prendre des semaines pour une production », explique M. Pelland.

De Stadia à Legion

Cette utilisation de l’infonuagique ressemble au concept derrière des plateformes de jeux vidéo infonuagiques comme Stadia, de Google, et Luna, d’Amazon. À la différence que la puissance de calcul des serveurs est utilisée pour jouer, et non pour concevoir les jeux.

Les deux cofondateurs de Legion Labs ont d’ailleurs fait partie, comme cadres, de la brève incursion de Google dans la conception de jeux vidéo. Après avoir mis sur pied deux studios en octobre 2019 sous la direction de Jade Raymond, à Montréal et à Los Angeles, Stadia a abandonné en février dernier l’idée de produire ses propres jeux.

M. Pelland précise toutefois qu’il n’a jamais été question que Stadia conçoive son propre moteur de jeu infonuagique. « Notre mandat n’était pas du tout de faire ça, mais de concevoir un jeu infonuagique pour Stadia. »

Collaboration et maturité

L’autre volet important du moteur de jeu Legion, c’est qu’il permettra la collaboration en temps réel. « Si je suis un designer et que tu es en Inde, on peut travailler en même temps sur un aspect. Un artiste va apporter une modification qui va apparaître en quelques secondes sur l’écran d’un autre. »

Pour aller plus loin dans cette vision collaborative, les deux partenaires veulent que Legion soit offert en code source ouvert, afin que ses utilisateurs puissent le modifier et l’adapter à leurs besoins.

Il y aura de grandes parties de code que les gens vont pouvoir aider à développer. Ils pourront donc réellement prendre possession de l’outil, et accélérer le développement de façon importante.

François Pelland, PDG de Legion Labs

Le Québec, même s’il est reconnu mondialement pour le dynamisme de son industrie du jeu vidéo, a développé très peu d’outils technologiques utilisés par ses 257 studios indépendants, grands studios et entreprises spécialisées membres de la Guilde du jeu vidéo du Québec. La montréalaise Audiokinetic, acquise par Sony en 2019, est une des rares exceptions avec sa plateforme Wwise utilisée pour la conception sonore.

« On dirait que le Québec est mûr pour cette offre-là, estime M. Pelland. D’avoir un moteur qui développe les jeux du futur, made in Québec, est quelque chose d’intéressant pour tous nos studios. »

Une bourse Bernard-Landry pour le jeu vidéo

Avant de devenir premier ministre du Québec, de 2001 à 2003, Bernard Landry a notamment implanté en 1996 un crédit d’impôt qui a littéralement permis à l’industrie québécoise du jeu vidéo de prendre son envol, notamment avec l’arrivée d’Ubisoft l’année suivante. Pour souligner cette contribution, deux nouvelles bourses d’une somme de 5000 $, dont une visant à récompenser la relève en jeu vidéo, ont été annoncées ce mercredi. L’autre bourse, du même montant, couronnera un projet de la relève dans les industries culturelles. Ces deux récompenses, mises sur pied par le Cercle des amis de Bernard Landry, sont destinées aux artisans de moins de 40 ans proposant des projets en français. Elles seront remises le 6 novembre prochain, date qui marquera le troisième anniversaire de la mort de M. Landry, lors d’un gala où des images d’archives exclusives, des témoignages d’amis et de politiciens seront à l’honneur.

Karim Benessaieh, La Presse