Vendu à l’américaine Jam City, le studio montréalais entrevoit une synergie gagnante

Sept ans après avoir été acquis par une entreprise britannique spécialisée en production télévisuelle, Ludia croit avoir trouvé en Jam City un propriétaire plus naturel, un « partenaire stratégique pour croître dans les années à venir », estime Alex Thabet, cofondateur et PDG du studio montréalais.

Avec ses 400 employés et un catalogue bien garni de dizaines de jeux mobiles, qui attirent chaque mois quelque 5 millions de joueurs dans le monde, Ludia n’était pas tout à fait aux abois. Mais la situation a bien changé depuis que la britannique Fremantle, surtout connue pour ses séries télévisuelles comme Mr Bean, Baywatch et Family Feud, a acquis 30 % des parts de Ludia en 2009, deux ans après la fondation. En 2014, Fremantle est devenue propriétaire à 100 %.

« En 2010, 70 % des revenus de Ludia provenaient de jeux basés sur les propriétés de Fremantle, précise en entrevue M. Thabet. On a diversifié notre portefeuille de jeux, avec un partenaire qui nous a laissé la voie libre pour croître sans nous imposer ses propriétés. Les synergies se sont atténuées avec le temps : on se retrouve en 2021 avec moins de 5 % de revenus associés à Fremantle. »

Vers la Bourse

Aujourd’hui, Ludia mise essentiellement sur une demi-douzaine de jeux, sur la soixantaine produits depuis 2007, qu’on bichonne et renouvelle pour alimenter l’intérêt des joueurs. How to Train Your Dragon, par exemple, a été lancé par Ludia en 2014 et maintient un rythme de croisière étonnant de 300 000 joueurs tous les jours. Son plus grand succès est Jurassic World Alive, jeu de géolocalisation et de réalité augmentée considéré comme numéro deux au monde dans cette catégorie, derrière Pokémon Go.

Le nouveau propriétaire, Jam City, a essentiellement le même modèle d’affaires, mais multiplié. Avec quelque 800 employés répartis dans ses neuf studios, dont un au Canada, à Toronto, l’entreprise située à Los Angeles compte près de 1 milliard de téléchargements et quelque 31 millions de joueurs mensuels. Ses grands succès sont Cookie Jam et Harry Potter – Hogwarts Mystery.

« On travaillait avec eux depuis plusieurs années, on les connaissait, on savait qu’il y avait un beau fit culturel », précise le PDG de Ludia.

Jam City a confirmé la semaine dernière, dans la foulée de son acquisition de Ludia, son intention d’entrer en Bourse sous le parapluie d’une troisième entreprise, DPCM Capital. La nouvelle entité aurait une valeur boursière de 1,2 milliard US.

Sans commenter directement ce passage en Bourse, sur lequel il a un devoir de discrétion, M. Thabet se réjouit d’avoir accès aux ressources bien plus grandes de Jam City. « Dans un contexte de plus en plus compétitif, nous allons pouvoir avoir accès à des capitaux. Ça va nous donner un avantage concurrentiel majeur pour assurer le succès de l’entreprise. »

À la défense des gratuits-payants

Pour le moment, les deux studios vont continuer à concevoir leurs propres jeux, Ludia gardant une certaine indépendance. L’équipe actuelle reste en place et on s’attend à continuer de croître. La commercialisation et la promotion des jeux ainsi que le partage des ressources infonuagiques pour répondre à la demande des joueurs seront vraisemblablement les premiers secteurs où les deux entreprises travailleront ensemble.

On est toujours en recrutement. […] On va exploiter les synergies, mais de façon très graduelle.

Alex Thabet, cofondateur et PDG de Ludia

Ludia et Jam City sont des exemples d’une transition de l’industrie du jeu vidéo entamée il y a une décennie, qui touche surtout le jeu mobile, pour le moment. Les jeux sont devenus gratuits au téléchargement, mais offrent diverses possibilités de personnalisation à ceux qui acceptent de payer – moins de 5 % des joueurs, estime-t-on. Le plus connu des gratuits-payants (freemiums), Fortnite, avec des revenus de plus de 9 milliards en 2018 et 2019, fait saliver bien de grands studios. Même un studio comme Ubisoft, surtout connu pour ses grandes productions se chiffrant en centaines de millions de dollars, a reconnu au début du mois de mai vouloir lancer plus de freemiums.

L’époque où ce type de jeux était considéré comme de deuxième ordre est bien révolue, estime Alex Thabet. « La réalité aujourd’hui, c’est que l’ensemble de l’industrie évolue vers ce modèle financier, qui favorise la gratuité du contenu. Dans ce contexte, on ne peut pas se permettre de créer une expérience minimaliste ou de moindre qualité. La barre est très haut placée si on veut avoir un minimum de succès. »

Rectificatif
Dans une version précédente, nous mentionnions les chiffres suivants, qui avaient été fournis puis ont été corrigés par Ludia : 2 millions de joueurs quotidiens (plutôt que 5 millions de joueurs mensuels) pour Ludia, des revenus de 2 % associés à Fremantle (plutôt que 5 %) et 8 millions de joueurs quotidiens pour Jam City (plutôt que 31 millions de joueurs mensuels).