Le réseau 5G a beau être embryonnaire au Canada, des centaines d’entreprises tentent de prendre les devants pour profiter de ce qui sera la prochaine révolution technologique. Visière futuriste pour pompiers, ville intelligente, création de réalité virtuelle à la Minecraft : les produits inédit de plus de 200 PME québécoises sont testés notamment grâce aux installations de l’organisme ENCQOR 5G. En voici une sélection.

De la « vraie » 5G

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Des entreprises auront accès à du financement et à des laboratoires, notamment au Centech à Montréal (photo) et à l’Institut intelligence et données à Québec, où elles peuvent jouer avec de la « vraie » 5G.

La 5G qui est offerte à plus de 45 % de la population canadienne depuis janvier 2020, notamment par Rogers, Bell et TELUS, n’est qu’un avant-goût de cette technologie qui est loin d’être complètement déployée. Les vitesses, les délais de communication et la densité d’appareils connectés sont encore loin des possibilités de cette technologie qui promet 20 Gb/s, moins de 1 milliseconde de latence et 1 million d’appareils connectés au kilomètre carré. Une des explications : cette 5G utilise encore les fréquences attribuées à l’ancienne 4G, autour des 600 MHz et 2,5 GHz. Les fréquences plus élevées, bien plus prometteuses, ne sont même pas encore attribuées au Canada.

C’est là qu’interviennent les cinq centres d’innovation de l’organisme ENCQOR 5G, dont deux sont situés au Québec. Il s’agit d’un acronyme pour « Évolution des services en nuage dans le corridor Québec-Ontario pour la recherche et l’innovation ». Fondé en 2018 avec un financement de 400 millions de dollars par les gouvernements du Canada, du Québec et de l’Ontario, en partenariat avec cinq grandes entreprises du secteur, dont Ericsson, IBM et CGI, ENCQOR 5G annoncera prochainement avoir atteint les 500 PME participantes. Essentiellement, ces entreprises ont accès à du financement et à des laboratoires, notamment au Centech à Montréal et à l’Institut intelligence et données à Québec, où elles peuvent jouer avec de la « vraie » 5G. Les fréquences disponibles, ici, sont de 700 MHz, 3,5 GHz et 28 GHz. C’est cette dernière fréquence, qui ne sera vraisemblablement pas offerte à grande échelle avant plusieurs années, qui représente l’eldorado pour les télécoms.

Ville intelligente

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-Roch Lafleur, directeur général de Kalitec, et le fondateur de l’entreprise, Jean Lapointe

Pas besoin d’être une petite entreprise techno fraîchement née pour embarquer dans la 5G. Kalitec, firme de Laval comptant une quarantaine d’employés, se spécialise dans la signalisation routière depuis 1988. Elle a entrepris un virage technologique depuis huit ans, investissant 5 millions et développant des produits comme son « radar pédagogique » qui prévient les automobilistes et compile les statistiques, des traverses pour piétons qui se synchronisent des deux côtés de la chaussée et des panneaux de déneigement activés par télécommande ou à partir d’une plateforme web.

« En ce moment, notre système est sur la 4G parce qu’elle est partout et compatible, mais on fait le choix de nous assurer que nos micrologiciels soient prêts à accueillir la 5G quand elle sera déployée », explique Jean-Roch Lafleur, directeur général de Kalitec. Le cœur de ce projet, c’est une plateforme appelée Dynamik, déjà utilisée pour les produits les plus avancés comme les panneaux intelligents et les passages de piétons, mais qui pourrait devenir avec la 5G un véritable centre de contrôle en temps réel pour une municipalité.

Cette technologie est indispensable pour deux de ses capacités, explique M. Lafleur : la latence extrêmement réduite et la capacité d’augmenter considérablement le nombre d’appareils connectés. Des exemples : « Avertir un automobiliste qu’un piéton est en train de traverser, je pourrais le faire avec la 4G, mais le temps de réponse aurait été trop long. Si je veux coordonner toutes les activités dans un aéroport, je ne peux pas, je n’ai pas assez de fiabilité sur le temps de réponse. »

Selon son estimation, le réseau 5G sera prêt dans deux ans pour ce déploiement d’appareils connectés à grande échelle qui permettra réellement aux municipalités de suivre ce qui se passe sur leur territoire en temps réel. « Nous, on est prêts », affirme-t-il.

En usine

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Zara Khani, cofondatrice, et Benoit Gendron, fondateur et président de Latence Technologies

L’automatisation et le contrôle en temps réel en usine ou dans une mine reposent sur deux conditions : une faible latence et une haute fiabilité des réseaux. Comment s’assurer en tout temps de ces deux éléments ? C’est la tâche que s’est donnée Latence Technologies, firme montréalaise fondée en 2020 par Benoit Gendron et qui compte quatre employés.

Essentiellement, la plateforme de l’entreprise, dont on vise la commercialisation entre avril et juin prochains, analyse le réseau de communications en tout temps, établit ses performances et ses défaillances et suggère des correctifs. Les premiers clients qu’on vise sont les grands opérateurs comme Bell et Rogers, qui pourront donner à leur tour aux entreprises l’assurance de réseaux 5G robustes. Ceux-ci, rapporte M. Gendron, sont intéressés par un tel outil. « Ils m’ont dit qu’ils étaient théoriquement capables de faire ce que je propose, mais ils trouvent ça difficile. Si je suis capable de résoudre le problème, ils sont preneurs. »

Il estime possible de garantir, à moyen terme, une latence inférieure à 10 millisecondes dans les entreprises, là où la 4G fait difficilement mieux que 16 millisecondes, mais varie énormément, atteignant par phases les 100 ms.

« Je pense qu’il va y avoir une belle révolution dans les prochaines années... et que je suis un peu en avance, dit M. Gendron. Je me présente un peu comme le “Speedtest de la latence”, je suis capable d’analyser et d’expliquer les variations. La prédiction, l’analyse plus poussée avec l’apprentissage machine seront mes chevaux de bataille. »

Créer sa réalité

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Félix Leblanc, vice-président aux partenariats, et Harold Dumur, président d’OVA

L’objectif d’OVA, c’est de permettre à n’importe quel utilisateur de créer des expériences de réalité virtuelle aussi facilement que l’on conçoit une présentation PowerPoint. « C’est un peu une inspiration à la Minecraft ou de blocs Lego, dans un contexte d’entreprises », précise Harold Dumur, président d’OVA. Le produit vedette de la petite entreprise montréalaise, c’est StellarX, un logiciel qui a tous les attributs d’un jeu vidéo – on le trouve même sur Steam – qui permet d’utiliser des milliers d’éléments visuels 3D et sonores, dans des bibliothèques ou téléchargés, et de les combiner dans des environnements virtuels.

On peut par exemple créer un atelier de réparation d’avions dans lequel un employé en formation pourra se promener, avec un casque de réalité virtuelle ou devant son écran d’ordinateur. Il peut réparer, déplacer, construire ses propres modules. Petit détail rigolo, les environnements créés par StellarX peuvent être visités par plusieurs personnes en même temps. « C’est là-dessus que nous avons fait le party de Noël d’OVA, c’était bien amusant », rapporte Félix Leblanc, vice-président aux partenariats.

La plateforme fonctionne déjà, et de façon plutôt fluide, a pu constater La Presse lors d’une présentation. Qu’est-ce que la 5G apporterait de plus, alors ? Essentiellement, un flux de données constant de 1,7 Gb/s qui permet à un ordinateur d’émettre vers un casque ou un autre ordinateur, qui n’a plus aucun traitement à faire. « La réalité virtuelle demande beaucoup de puissance au processeur graphique de l’ordinateur, il faut présentement que le casque soit branché, explique Harold Dumur. La 5G va permettre de passer outre au téléchargement, d’ouvrir directement sans télécharger. »

En langage d’informatique, la 5G et sa diffusion continue permettent d’être « agnostiques », d’envoyer le contenu autant à un PC sur Windows qu’à un casque sur Android. « Il reste encore des points à régler, mais il n’y a aucun soubresaut [lag], ça fonctionne », se réjouit M. Leblanc.

Environnement enrichi

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-Philippe Desjardins, PDG et cofondateur de l’agence Wallrus

Une des applications les plus fréquemment associées à la 5G, c’est la réalité mixte, où des éléments réels se mêlent et interagissent avec des objets numériques. Il faut pouvoir compter sur la bande passante et les délais de réponse imperceptibles de la 5G pour obtenir des expériences satisfaisantes, et c’est ce sillon que l’agence Wallrus creuse. Un exemple : vous vous promenez à Athènes, vous pointez votre téléphone sur le Parthénon et il apparaît tel qu’un Grec le voyait il y a 2459 ans. À Paris, la cathédrale Notre-Dame retrouve ses airs d’avant l’incendie.

Spécialisée dans l’« affichage social », où le public peut interagir et influencer ce qui apparaît à l’écran, impliquée dans 30 000 évènements depuis sa fondation en 2015, Wallrus veut utiliser la 5G pour « redéfinir l’engagement en développant des expériences qui vont transformer les gens et les émerveiller », lance Jean-Philippe Desjardins, PDG et cofondateur.

Évidemment, avec la 5G qui n’est pas encore totalement déployée, les projets présentés par Wallrus sont de l’ordre de la recherche et du développement pour le moment. Il s’agit essentiellement de présenter des concepts fonctionnels qui pourront ensuite être utilisés par les clients de l’agence. En parallèle, on est en train de concevoir un ambitieux projet maison, un porte-étendard pour Wallrus, où le public pourra interagir avec une créature virtuelle. La sortie de La vie secrète des monstres est prévue à l’été 2022.

« Mon opinion est que la 5G sera largement adoptée dans trois à cinq ans, estime M. Desjardins. En ce moment, elle vide ta pile de cellulaire, qui tend à surchauffer, les infrastructures et les bandes passantes ne sont pas totalement implantées. »