(Sydney) L’Australie a fait vendredi un pas de plus vers l’introduction d’une législation novatrice contraignant les géants de la technologie à rémunérer les médias pour leurs contenus, qui, à terme, pourrait changer beaucoup de choses pour les internautes de toute la planète.

Voici un aperçu du projet australien, des raisons pour lesquelles des firmes telles que Facebook et Google le rejettent et ce qu’il signifie pour les internautes.

Quelle est la situation ?

Depuis leur apparition il y a deux décennies, des géants comme Google et Facebook sont très peu réglementés.  

En Australie, les autorités se sont penchées sur la manière dont ils captent une part importante des revenus publicitaires et sur les conséquences de cette domination pour les médias en grande difficulté financière.

Une étude australienne montre que pour 100 dollars dépensés en publicité en ligne, Google perçoit 53 dollars, Facebook 28 dollars et le reste est réparti entre d’autres géants de l’internet.

Ceux-ci sont accusés par la presse de tirer profit de ses contenus sans partager les revenus qu’ils en tirent.  

Pour que les règles soient plus équitables, l’Australie souhaite que Google et Facebook rémunèrent les médias australiens quand ils utilisent leurs contenus d’actualité.  

Après plusieurs mois, le Sénat australien a rendu son rapport vendredi et recommande que les mesures proposées deviennent une loi.

Pourquoi une attention mondiale pour ce projet ?

Cette réglementation ne s’appliquera qu’en Australie, mais les autres pays scruteront avec attention la manière dont elle entrera en vigueur afin d’envisager des mesures similaires.  

Microsoft qui, avec son moteur de recherches Bing, entend combler le vide que menace de laisser Google en Australie, a soutenu ces propositions, appelant d’autres pays à suivre l’exemple de Canberra et le secteur des technologies à s’engager pour relancer un journalisme indépendant qui « est au cœur de nos libertés démocratiques ».

PHOTO DENIS CHARLET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’administration américaine de l’ex-président Donald Trump était opposée à de telles propositions, mettant en garde contre les « conséquences négatives à long terme » pour les entreprises américaines.  

Les députés européens les ont accueillies favorablement. L’Union européenne a instauré en 2019 un « droit voisin » qui doit permettre la rémunération des éditeurs de presse pour les contenus utilisés par les plateformes en ligne.

Pourquoi Google et Facebook s’y opposent ?

Facebook et Google s’opposent à la mise en place de toute réglementation menaçant de mettre à mal le modèle économique qui leur a permis de devenir des entreprises parmi les plus rentables du monde.  

Ils disent ne pas être opposés au fait de rémunérer les informations fournies par les médias. Ils paient déjà certains groupes de presse pour leurs contenus mais refusent que le montant de la rémunération leur soit imposé.  

Selon le projet australien, un arbitre indépendant pourrait décider si les accords conclus sont équitables, pour garantir que ces géants n’utilisent pas leur position dominante sur le marché de la publicité en ligne pour dicter leurs conditions.   

Ces derniers font également valoir que cette législation serait un cadeau du gouvernement conservateur australien au groupe News Corp de Rupert Murdoch afin de soutenir ses journaux en difficulté.   

Qu’est-ce que cela signifie ?

Pour Tim Berners-Lee, un des inventeurs du web en 1989, le projet australien est « irréalisable » et sape un « principe fondamental » de l’internet.

« Si ce précédent était suivi ailleurs, il pourrait rendre le web inapplicable dans le monde entier », a-t-il averti, redoutant que cela n’ouvre une boîte de Pandore.

Facebook comme Google ont menacé de suspendre leurs services si le projet australien était mis en œuvre sous sa forme actuelle.

La directrice générale de Google Australia, Mel Silva, avait avancé en janvier que si le projet passait tel quel, son groupe « n’aurait guère d’autre choix » que de suspendre son moteur de recherches en Australie, qui capte plus de 90 % de ce marché.  

De même, Facebook a averti qu’il pourrait empêcher les utilisateurs australiens de partager des informations locales via sa plateforme.  

Si l’adoption des mesures australiennes avait un impact limité sur les résultats de ces entreprises, il est peu probable que ces dernières puissent bloquer de la même façon leurs services si d’autres pays décidaient de mettre en œuvre un projet similaire.