Montréal réussira-t-elle à faire l’unanimité autour de Quantic Dream ? Le mythique studio français, adulé par des millions d’inconditionnels pour ses trames narratives, mais critiqué pour le manque d’action dans ses jeux vidéo, annonce ce mardi l’ouverture dans la métropole québécoise de sa première filiale à l’extérieur de Paris. À terme, une cinquantaine d’employés seront responsables du design de jeu, qui inclut les mécaniques qui sont souvent perçues comme le talon d’Achille de Quantic Dream.

C’est le vétéran montréalais de l’industrie Stéphane D’Astous, un ancien directeur d’Ubisoft Montréal qui a fondé et dirigé pendant sept ans Eidos-Montréal, qui a été nommé directeur général. On a également annoncé le recrutement de Yohan Cazaux, anciennement responsable de la conception d’Assassin’s Creed Valhalla chez Ubisoft, à titre de directeur de jeu. L’équipe, qui compte déjà sept employés, s’installera dans des locaux avenue Atwater, au centre-ville. Le studio parisien de l’entreprise compte 180 employés.

PHOTO FOURNIE PAR QUANTIC DREAM

C’est au 1100 avenue Atwater, qui héberge notamment les studios Compulsion Games de Microsoft, 2K, Cloud Chamber et Pixomondo, qu'on accueillera la cinquantaine d’employés qui formeront l’antenne montréalaise de Quantic Dream.

« Avec ses jeux narratifs, Quantic Dream est un studio qui va vraiment ajouter une corde à l’arc de Montréal, déclare M. D’Astous en entrevue. On en fait ici, mais on est surtout reconnus pour nos jeux d’action. »

Script de 4000 pages

La prochaine création du studio français, dont on ne révèle évidemment pas les détails, est « très ambitieuse », précise le directeur général. Comme c’est le cas depuis la fondation de Quantic Dream, en 1997, c’est son PDG David Cage qui en est le directeur créatif. Le studio a lancé cinq jeux depuis ses débuts qui ont remporté plus de 250 prix. Il a signé un contrat d’exclusivité avec Sony à partir de 2010, réservant ses œuvres à la PlayStation. Les trois jeux qui ont suivi, Heavy Rain, Beyond : Two Souls et Detroit : Become Human, sont considérés comme des bijoux de narration, avec des scénarios émouvants et d’une profondeur rarement égalée dans le jeu vidéo. Le plus grand succès du studio, Detroit : Become Human lancé en 2018 et qui s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaires, est par exemple basé sur un script de 4000 pages qui a nécessité le recrutement de 300 acteurs et 360 jours de tournage, révélait Cage en entrevue en 2019.

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On a annoncé cette année-là la fin de l’entente d’exclusivité avec Sony. Tout en travaillant sur ses propres œuvres, le studio est devenu un éditeur indépendant et a lancé des versions PC de ses trois derniers jeux sur la plateforme d’Epic Games. Les prochains jeux seront « multi-plateformes », annonce M. D’Astous, qui n’exclut pas qu’ils soient également disponibles pour la Nintendo Switch.

Quantic Dream a été au cœur d’une controverse en 2018, une enquête de trois médias français, dont Le Monde, révélant « une culture d’entreprise toxique, une direction aux propos et attitudes déplacés, des employés sous-considérés, des charges de travail écrasantes et des pratiques contractuelles douteuses. » Deux des plaignants dans cette affaire ont cependant été déboutés, tandis que Quantic Dream a finalement été condamné en 2019 à verser une amende de 5000 euros à un ex-employé.

Grandir à Montréal

Les détracteurs de Quantic Dream qualifient souvent avec dérision ses jeux de « cinéma interactif », où le joueur décide peu de l’action et se contente de choix proposés. Stéphane D’Astous n’est évidemment pas d’accord avec cette critique. « Ç’a marqué l’imaginaire de beaucoup de gens. Les personnages sont super bien développés, on s’y attache, il y a plusieurs fins possibles et chaque choix va avoir un impact. »

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Le nouveau directeur général de Quantic Dream Montréal, Stéphane D’Astous, veut bâtir un « studio à échelle humaine ». « Je suis reconnu pour être un dirigeant accessible, à l’écoute, transparent. Avec moi, il n’y a pas de bullshit. »

Il note une progression évidente dans les mécaniques de jeu, qui sont devenues plus complexes de Heavy Rain à Detroit. C’est manifestement pour continuer sur cette tendance qu’on a choisi Montréal. « Les gens de Quantic Dream se sont demandé s’ils allaient faire une expansion « organique » en France pour réaliser leurs ambitions. Ils ont pesé le pour et le contre et ont réalisé que Montréal était la bonne place pour grandir […] Pour le prochain jeu, nous restons très ambitieux et on va continuer à développer un design de jeu encore plus sophistiqué. »

Sa tâche principale d’ici la fin de 2021, c’est d’arriver à monter une équipe talentueuse et de lui donner un esprit de corps. « Le studio Quantic Dream a quand même une réputation qui va nous aider. Nous voulons bâtir un studio à échelle humaine. Je suis reconnu pour être un dirigeant accessible, à l’écoute, transparent. Avec moi, il n’y a pas de bullshit. J’ai un grand attachement pour mes employés. »

Vendre Montréal

En 2012, déjà, La Presse avait rapporté que Quantic Dream, craignant l’arrêt du programme français de crédits d’impôt, songeait à quitter son berceau parisien pour s’installer à Montréal. Ce coup de pouce fiscal avait finalement été reconduit. Au Québec, le studio bénéficiera d’un crédit d’impôt remboursable pouvant atteindre 37,5 % des coûts de main-d’œuvre.

C’est durant ses années chez Eidos-Montréal, entre 2007 et 2013, que Stéphane D’Astous a rencontré les dirigeants de Quantic Dream. « J’avais gardé un certain contact avec eux. Eidos a été l’éditeur de certains de leurs jeux. J’étais de passage à Paris, j’ai voulu visiter leurs studios, on s’est assis et on a jasé. C’est resté comme ça, une discussion amicale, je leur ai vanté Montréal. Et voilà qu’en octobre dernier, ils m’annoncent : « Tu sais, la discussion qu’on a eue ? On aimerait la mettre à exécution ! » J’ai dit « Je suis tout ouïe ! ».

Pour Montréal International, qui a accompagné Quantic Dream pour sa première expansion hors France, cette annonce montre la vigueur de l’industrie du jeu vidéo. « Encore une fois, la créativité du talent montréalais fait la différence, a déclaré par communiqué Stéphane Paquet, président-directeur général de Montréal International. Cette force grandit, se diversifie, ce qui fait que Montréal trône maintenant parmi les cinq plus grands centres mondiaux de production de jeux vidéo. C’est d’autant plus important de le souligner qu’il s’agit d’une industrie en très forte croissance au niveau mondial. »