Création d’un tout nouveau tribunal pour la protection des données, amendes records pouvant atteindre 5 % des revenus, commissaire aux pouvoirs étendus et contrôle accru des Canadiens sur leurs données personnelles. Le projet de loi déposé par le gouvernement Trudeau ce mardi vise à créer « un système fondé sur la confiance avec des règles claires », a déclaré en conférence de presse le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, Navdeep Bains.

L’acteur central de cette nouvelle donne, c’est le Commissaire à la vie privée qui aura le pouvoir de recevoir les plaintes du public, déclencher des enquêtes, convoquer des témoins et recommander des amendes. En cas d’appel, ce sera au nouveau Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données de réévaluer le dossier. Ce tribunal devra également établir le montant des amendes, qui pourront aller jusqu’à 25 millions ou 5 % du revenu « global » des entreprises fautives, selon le plus élevé des deux montants. Il s’agit des « plus fortes amendes au sein du G7 », a précisé le ministre. Celles-ci ne pourront toutefois être imposées si l’entreprise visée fait déjà face à une poursuite devant d’autres instances. La loi n’aura pas non plus une portée rétroactive.

Qu’est-ce qui pourrait valoir à une entreprise cette amende maximale ? En breffage technique, des responsables du Ministère ont donné en exemple une société qui aurait tenté de camoufler un vol de données et n’aurait pas avisé ses utilisateurs. L’utilisation de données personnelles à des fins autres que celles auxquelles le consommateur a consenti pourrait également lui valoir cette pénalité.

Transparence

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs déposée mardi contient également plusieurs dispositions pour permettre un meilleur contrôle des données personnelles par les usagers. D’abord, pour les récolter, les entreprises devront obtenir le consentement dans un document « présenté en langage simple, pas dans des dizaines de pages », a annoncé le ministre.

« Il y aura plus de transparence, les Canadiens vont mieux comprendre comment les données sont collectées et utilisées », a-t-il promis.

Les entreprises auront par ailleurs l’obligation de permettre qu’un utilisateur puisse transférer toutes ses données d’une organisation à une autre, par exemple entre institutions bancaires ou entre réseaux sociaux. Il sera possible de demander la destruction complète de ces données et de retirer son consentement. La loi prévoit en outre une disposition concernant la « transparence des algorithmes », qui les obligera à « faire preuve de transparence » dans l’utilisation des systèmes automatisés et de l’intelligence artificielle.

Le but de cette charte : amener les consommateurs à avoir une meilleure confiance dans les entreprises numériques. Celles-ci profiteront de directives claires et pourront en profiter pour être « plus compétitives et productives », affirme M. Bains.

« La pandémie de COVID-19 nous a amenés à compter plus que jamais sur l’économie numérique, a déclaré le ministre. La loi va aider les Canadiens à profiter de cette nouvelle réalité et à avoir confiance que les renseignements personnels sont en sécurité. »

La nouvelle loi, répète-t-on dans les documents explicatifs remis aux journalistes, ne vise pas à freiner l’innovation ou à imposer un fardeau bureaucratique excessif aux entreprises. On précise qu’il ne sera plus nécessaire d’obtenir le consentement des consommateurs « quand ce consentement ne procure pas de protection significative de la vie privée ». On annonce également que la loi permettra aux entreprises de divulguer des données « dépersonnalisées » à des organismes publics « pour le bien commun ». Enfin, ces entreprises pourront demander au Commissaire à la vie privée d’approuver leurs pratiques au préalable.

« Interdire Huawei »

L’annonce a suscité le scepticisme de l’opposition officielle, qui rappelle que le gouvernement Trudeau n’a toujours pas légiféré dans un dossier connexe, Huawei. « Si les libéraux voulaient vraiment protéger la vie privée des Canadiens, ils interdiraient Huawei sur le réseau 5G du Canada », a soutenu par communiqué James Cunning, porte-parole conservateur en matière de sciences et d’innovation.

« Alors que d’autres pays prennent des mesures décisives pour protéger la vie privée de leurs citoyens et interdire Huawei, les libéraux de Trudeau sont incapables de prendre une décision et de défendre la vie privée des Canadiens. Rien n’excuse ce retard par le gouvernement Trudeau », estime le député. Les conservateurs, a-t-il promis, vont étudier en détail ce projet de loi pour s’assurer qu’il protège la vie privée « sans imposer de lourds règlements aux petites entreprises qui luttent pour rester ouvertes pendant la deuxième vague de la pandémie ».

Le Conseil canadien des innovateurs, qui regroupe une centaine d’entreprises technologiques, dont une vingtaine au Québec, a salué par communiqué le fait qu’Ottawa ait enfin décidé d’agir dans ce dossier. « Ces dernières années, l’Union européenne, la Californie et le Québec ont tous pris des mesures pour moderniser leurs lois sur la protection des données, et il est bon de voir le gouvernement fédéral rattraper son retard. La protection de la vie privée et la croissance de l’industrie ne sont pas en contradiction, et des règles plus claires donneront confiance aux entreprises canadiennes dans leur planification et leur croissance. »