(San Francisco) Microsoft pourrait empêcher une extinction brutale de TikTok aux États-Unis, mais le bilan mitigé du géant de l’informatique en termes d’acquisitions interroge sur sa capacité à révéler tout le potentiel d’un adolescent de la technologie en pleine croissance.

Offert à l’international depuis deux ans tout juste, le réseau social compte environ un milliard d’utilisateurs, en majorité des enfants et adolescents qui raffolent des vidéos ultras courtes, généralement musicales ou décalées.

Le président Donald Trump menace de le bannir parce qu’il appartient à un groupe chinois, ByteDance, et que Washington l’accuse - sans preuve - de communiquer des données confidentielles à Pékin.

Ce rachat forcé assurerait l’avenir, ou au moins la survie, de la plateforme aux États-Unis.

« Mais elle ne progressera peut-être pas aussi vite sans les technologies d’intelligence artificielle développées par ByteDance pour la recommandation de contenus », a d’emblée pointé Josh Constine, investisseur chez SignalFire et ancien de TechCrunch.

La spécificité de TikTok tient en effet à ses algorithmes ultras sophistiqués. Chez les anciens du secteur (Facebook, YouTube, Snapchat, Instagram…), les photos, vidéos et messages qui apparaissent sur le fil central sont d’abord liés aux contacts et aux choix des utilisateurs.

Sur le réseau social, « les contenus que vous consommez peuvent venir de n’importe qui », expliquent des passionnés qui ont écrit une lettre ouverte à Donald Trump, publiée sur Medium. « Cela donne une voix aux créateurs […] peu importe que vous ayez déjà une réputation ou que vous connaissiez quelqu’un de connu ».

TikTok recommande des contenus à visionner, mais aussi à créer par ses utilisateurs, avec un catalogue infini d’inspirations sous forme de mots-clés, défis et « memes » (images parodiques) à imiter.

Dose quotidienne

Le concept, addictif, a explosé pendant la pandémie. Les enfants de 4 à 15 ans passent désormais environ 80 minutes par jour sur TikTok, à peine moins que sur YouTube (85 minutes), d’après une étude publiée début juin par Qustodio, une application de contrôle parental des écrans.

L’acquérir est une « opportunité en or » pour Microsoft, estime l’analyse Dan Ives de Wedbush Securities.

Ce serait un « tour de force, surtout à la valeur actuelle d’environ 40 milliards de dollars. Si TikTok est bien manoeuvrée, sa valeur pourrait atteindre les 200 milliards d’ici quelques années, étant donné le parcours fulgurant de l’appli en termes d’utilisateurs et d’engagement ».

Microsoft, fondée il y a 45 ans, s’est construite sur le succès des logiciels de bureautique (comme Word) et, plus récemment, sur le nuage (informatique dématérialisée).

Les aventures du groupe hors des marchés professionnels « ont eu des résultats mitigés, au mieux », remarque Rich Greenfield, analyste chez LightShed.  

« Pensez à Skype, Mixer, Hololens, Linkedin et même Minecraft, qui n’a pas pris l’ampleur qu’il aurait pu avec un autre acheteur ».

Fin juin, la société a fermé sa plateforme de diffusion en continu de jeux vidéo Mixer, laissant le champ libre au géant du secteur Twitch (Amazon) et à ses deux rivaux, YouTube Gaming et Facebook Gaming.

Mais Microsoft reste un acteur majeur des jeux vidéo, avec la Xbox.

« TikTok pourrait devenir une importante plateforme de distribution des jeux, qui lie solidement l’aspect social et la diffusion en continu - mieux que Mixer et même potentiellement mieux que Twitch (s’ils arrivent à exécuter l’opération correctement, ce qui n’est pas du tout gagné) », commente Rich Greenfield.

Vengeance

Les négociations sont déjà bien avancées, a fait savoir Microsoft, et doivent se conclure avant le 15 septembre-la date limite fixée par Donald Trump avant une interdiction.

Le groupe est censé racheter les activités de TikTok aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En Chine, ByteDance opère une autre app, exactement sur le même principe, mais séparée.

Mais de nombreuses questions restent en suspens : comment, par exemple, séparer un réseau social en plusieurs morceaux, sans que ce soit un désavantage vis-à-vis des autres plateformes mondiales ?

Microsoft devra aussi se plonger dans des questions de monétisation et de modération des contenus, sur une plateforme critiquée à plusieurs reprises pour les risques qu’elle pose en termes de crimes, comme la pédophilie.

Facebook ou Google, rompus à ces problématiques, auraient pu faire partie des repreneurs potentiels ; mais ils font face à des enquêtes multiples sur leurs pratiques potentiellement anti-concurrentielles.

La société de Redmond (État de Washington) entretient de longue date des ambitions du côté des plateformes grand public et avait même cherché à acheter Facebook à ses débuts, remarque Debra Aho Williamson, analyste chez eMarketer.

« Acquérir TikTok lui donnerait une nouvelle chance de s’implanter dans un secteur tourné vers la jeunesse qui grandit très rapidement », note-t-elle. « Et ce serait une façon de se venger des refus de Facebook ».