C’est comme si Best Buy, La Source, Electrotel et EB Games s’étaient installés au marché Jean-Talon… 4000 fois. C’est environ le nombre de commerces spécialisés en électronique qu’on retrouve au marché Yongsan, en plein cœur de Séoul, capitale de la Corée du Sud.

Répartis dans une vingtaine d’édifices, ces commerces ont commencé à s’installer dans ce quartier dans les années 80, formant un véritable paradis pour tout amateur de jeux vidéo, de composantes d’ordinateurs, d’équipement de photo et de tout gadget comportant une lumière clignotante, un bip ou un circuit imprimé.

Mais victime de son succès, qui a fait exploser le prix des loyers, et du commerce en ligne qui ébranle tous les détaillants en Corée comme ailleurs, le marché Yongsan lutte contre un déclin qui semble inexorable.

Une Sega Saturn ! ?

Début décembre, par un mardi après-midi frisquet, la visite de La Presse commence par un long couloir de près de 200 mètres où défilent les comptoirs de jeux vidéo. Quelques rares clients se promènent entre les commerces, où les gigantesques figurines de Star Wars côtoient de mignonnes petites bestioles en peluche comme les affectionnent les Coréens, et des milliers de pochettes de jeux s’affichent, du plus rétro au plus récent Pokemon Sword and Shield. Ici et là s’empilent des contrôleurs et des consoles représentant les trois dernières décennies.

« C’est tranquille en semaine, mais on a de la difficulté à avancer la fin de semaine », nous précise notre interprète, Kyung-Ah.

Est-ce vraiment une Sega Saturn, sous ce comptoir vitré, offerte à 90 000 wons (101 $ CAN) ? Et elle fonctionne vraiment ? « Bien sûr, et j’ai une vingtaine de jeux pour l’accompagner », nous assure le commerçant, qui se présente simplement comme « Seung ».

On s’étonne du nombre hallucinant de copies physiques de jeux vidéo, alors qu’en Amérique du Nord, aux dernières statistiques datant de 2018, 83 % des achats sont numériques. N’est-ce pas également la tendance en Corée du Sud ?

Oui, on vend un peu moins qu’avant, mais les affaires continuent. Il y a toujours des acheteurs, surtout que les prix ici descendent rapidement quelques mois après la sortie d’un jeu.

Un jeune vendeur du marché Yongsan

Il le démontre en sortant un exemplaire de Red Dead Redemption 2, le jeu qui a tout raflé depuis sa sortie en novembre 2018, dont un exemplaire est offert pour un maigre 20 000 wons (22 $ CAN). Au Canada, en ce moment, il faut débourser au moins le double.

Quelle 5G ?

Après les jeux vidéo, ce sont les téléphones intelligents qui sont empilés par milliers. C’est que la Corée du Sud est la championne mondiale dans cette catégorie, alors que 95 % des adultes en sont équipés. On ne s’étonnera pas que, selon le site StatCounter, 73 % de ces téléphones proviennent des fabricants sud-coréens LG et, surtout, Samsung. Et ce sont essentiellement des appareils de ces deux géants qu’on retrouve éparpillés dans la section usagée, ou soigneusement rangés derrière le vendeur s’ils sont neufs.

Cela dit, les iPhone attirent tout de même un acheteur sur quatre dans le château fort de Samsung, surtout chez les jeunes les plus branchés. Notre interprète, en passant, est elle aussi une inconditionnelle de l’iPhone depuis des années.

Tiens, l’occasion est belle de demander si la 5G, offerte à grande échelle en Corée du Sud depuis avril dernier, a changé le comportement des acheteurs. « Non, pas vraiment, répond un des vendeurs. Il n’y a encore que très peu de modèles 5G offerts, je n’en ai que deux de Samsung et ils sont chers. »

Un peu plus loin, on se prend à regretter d’avoir commandé en ligne au Canada, il y a à peine un an, un beau portable ASUS destiné au jeu vidéo. Notre modèle à 2000 $ trouve son équivalent au marché Yongsan pour moins de 1100 $. On nous assure qu’il serait parfaitement compatible en Amérique du Nord. C’est plausible, bien qu’on soit sceptique quant à la version de Windows et la configuration du clavier.

Vers un « hub » d’innovation

On a beau écarquiller les yeux devant les gadgets lumineux et criards qui sollicitent notre attention pendant les deux heures de notre visite, difficile de ne pas remarquer l’allure un peu vieillotte de certains édifices, et les nombreux locaux abandonnés. Les statistiques, rapportées récemment par le quotidien local The Korea Herald, confirment cette impression : le taux d’inoccupation était de 22 % en 2018, un sommet impensable il y a une décennie à peine.

Le coût des loyers, multiplié dans certains cas par 50 depuis la naissance du marché Yongsan, selon ce média, est évidemment en cause.

L’activité économique, elle, n’a pas suivi cette hausse, toujours selon les données municipales citées par le quotidien : alors que les revenus annuels du marché Yongsan étaient estimés en 1990 à 10 000 milliards de wons (11 milliards CAN), ils sont aujourd’hui réduits de moitié, et ce, malgré l’inflation.

Le fait que les appareils électroniques, les jeux vidéo et les logiciels figurent partout dans le monde dans le top 5 des biens achetés en ligne explique vraisemblablement cette chute.

Désireux de donner au marché Yongsan de « nouveaux jours glorieux », le maire de Séoul, Park Won-soon, a annoncé l’an dernier un investissement équivalant à 22 millions CAN pour transformer l’institution vieillissante en un « hub » d’innovation. Le marché renouvelé, appelé Y-Valley, accueillerait par exemple des entreprises en démarrage, des services d’impression 3D et de formation en technologie.

L’ambiance qui en a fait une attraction incontournable pour tout geek en visite, par contre, n’est pas au menu.