(Paris) Google a fait selon des experts un pas de plus dans la course à l’ordinateur quantique, mais reste cependant encore très loin du but : une machine accroissant de façon plus qu’exponentielle la puissance de calcul actuelle des ordinateurs.

Selon une étude de chercheurs de Google, diffusée publiquement par erreur semble-t-il, ceux-ci ont construit un processeur quantique capable de mener un certain type d’opération en trois minutes et vingt secondes, là où il faudrait plus de 10 000 ans au plus avancé des supercalculateurs actuels.

Bref, ils ont atteint pour la première fois la « suprématie quantique », la capacité pour une machine quantique, qui utilise des propriétés physiques étonnantes des particules, à calculer plus vite que les machines informatiques traditionnelles.

Mais plusieurs experts interrogés par l’AFP invitent à rester très prudents sur l’interprétation de ces résultats.

Les ingénieurs de Google « ont choisi un calcul parfaitement adapté à leur ordinateur quantique […] mais qui ne sert à rien », estime ainsi le physicien français Alain Aspect, qui a notamment mis en évidence en 1982 les propriétés de l’intrication quantique, à la base de ces machines révolutionnaires.

« En deux mots, si vous faites un circuit automobile avec une très mauvaise route sur lequel une 2 CV est très à l’aise et qui multiplie les obstacles pour une Ferrari (qui va racler par terre), c’est la 2 CV qui ira le plus vite », poursuit-il dans un courrier électronique à l’AFP.

« Je pense qu’on ne pourra parler d’avantage quantique que lorsque l’ordinateur quantique sera capable de faire un calcul utile plus vite qu’un ordinateur classique », selon lui.

Même diagnostic pour l’expert en nouvelles technologies Olivier Ezratty, qui vient de publier l’édition 2019 de son « Comprendre l’informatique quantique », un ouvrage de référence disponible sur l’internet.

Machine quantique en ligne

« C’est une étape symbolique, un moyen de calmer les critiques et les sceptiques », considère-t-il. « Mais ça n’est qu’une étape sur un chemin qui va prendre encore du temps ».

Les informations concernant Google sont sorties au moment où IBM, l’autre poids lourd très avancé dans la course au quantique, annonçait qu’il mettrait en ligne, accessible aux chercheurs et développeurs, une machine quantique de 53 QBits, soit l’équivalent en puissance de la machine de Google.

« Ces communications un peu tonitruantes vont renforcer les investissements » dans le domaine, attirent l’attention des décideurs, et « relancent la concurrence des chercheurs », explique M. Ezratty. Mais « on n’est qu’au début de l’histoire ».

Il n’est pas sûr d’ailleurs que les prochains progrès en capacités, et la première vraie démonstration d’une « suprématie quantique » viennent des machines de Google et d’IBM, estime-t-il.

Un peu partout dans le monde, des laboratoires de recherche travaillent sur d’autres solutions que celles utilisant les matériaux supra-conducteurs utilisés par les deux géants américains, qui permettront peut-être d’avoir de meilleurs résultats, relève l’expert.

Une technologie utilise les « ions piégés », une autre les « atomes froids » et une troisième le bon vieux silicium, déjà à l’origine de l’informatique traditionnelle.

Le géant informatique français Atos espère en tout cas mettre d’ici à quelques années des « accélérateurs quantiques » sur ses supercalculateurs, qui seraient utiles pour certains types de calculs uniquement.

« Ce n’est pas impensable qu’on y arrive d’ici trois à cinq ans », expliquait la semaine dernière le PDG d’Atos Thierry Breton, lors d’une visite à l’usine de supercalculateurs du groupe à Angers.

Mais la vraie machine quantique, capable notamment de briser les systèmes cryptographiques dit RSA utilisés actuellement par l’informatique mondiale, n’est sans doute pas encore près de voir le jour, selon les experts.

Ceux-ci évoquent généralement des délais de 10 ou 20 ans, voire plus.