Acheter un cellulaire d’occasion, comme le font de plus en plus de Québécois, c’est la promesse d’une bonne affaire… ou le risque bien réel de se faire avoir. Cinq experts donnent leurs conseils pour mieux se protéger.

Ils reçoivent des dizaines de milliers de téléphones usagés chaque année, les réparent, les revendent, ou restent coincés avec certains. La Presse a demandé à cinq revendeurs quelles sont les précautions à prendre au moment d’acheter un téléphone d’occasion. Leurs trucs.

iCloud

Pour pouvoir utiliser un iPhone usagé, il faut qu’il ait été correctement réinitialisé et, surtout, retiré du compte iCloud de son ancien propriétaire. L’opération n’est pas si simple. « J’en ai des bacs pleins, des iPhone bloqués par leur identifiant iCloud », dit David Fournier, propriétaire de SOS Phone. Ce que certains vendeurs oublient de faire, par malice ou de bonne foi, c’est de déconnecter le téléphone de tous les services Apple – iCloud, iTunes Store et App Store – avant la réinitialisation. Il faut également choisir la bonne option d’effacement, parmi les six proposées, qui est « Effacer contenu et réglages ». Le vendeur devrait ensuite aller sur iCloud.com et retirer son ancien appareil de la liste, s’il y figure encore.

Imitations

Surtout depuis la sortie de l’iPhone 6, en 2014, des fabricants peu scrupuleux ont fait de l’imitation des téléphones Apple une industrie. Tant l’extérieur que les icônes iOS sont imités avec soin. « Il faut s’assurer que le téléphone est bien légitime, il y a des copies qui viennent de Chine, tu vois que le téléphone est une imitation », note Stefan Geertsen, propriétaire de GoRecell. Ce qui va trahir ce faux iPhone, c’est qu’il demeure un Android sous le vernis, ce qui sera flagrant au moment du redémarrage quand le petit robot va apparaître, plutôt que la pomme. Une analyse plus poussée des composants et des menus du téléphone, notamment de l’App Store inexistant pour une copie, vous permettra de découvrir le pot aux roses.

Vol

L’inquiétude la plus fréquente quand on achète un téléphone d’un inconnu, c’est qu’il ait été rapporté volé. Il figurera alors sur la liste noire réservée aux fournisseurs canadiens et ne pourra plus se connecter à un réseau. C’est heureusement le piège le plus facile à éviter. Il faut d’abord prendre en note l’identifiant unique du téléphone, l’MEI, en vous rendant dans le menu Général > Informations du iPhone, ou À propos du téléphone pour Android. L’IMEI apparaîtra également à l’écran si vous tapez le code suivant : *#06#. Ne vous fiez pas à un IMEI qui aurait été collé sur le téléphone, il peut être falsifié. Allez ensuite vérifier l’IMEI sur le site VerifierAppareil.ca.

Communications

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Stefan Geertsen, propriétaire de GoRecell

Il est pratiquement impossible de vérifier tous les composants d’un téléphone intelligent. Une action permet par contre d’en tester plusieurs d’un seul coup : faites un appel en insérant votre propre carte SIM. « C’est un très bon test, le test numéro un si tu n’as pas beaucoup de temps, dit Stefan Geertsen, de GoRecell. On vérifie que le téléphone est déverrouillé, que le microphone, les haut-parleurs et les capteurs de proximité fonctionnent. » S’assurer que l’écran tactile réagit bien, que les caméras prennent des photos valables, que les prises de recharge et audio sont fonctionnelles et que les réseaux cellulaires, WiFi et Bluetooth sont détectés est incontournable.

Vices cachés

Une batterie qui se vide en quelques heures, un téléphone abîmé par un liquide, de faux contacts intermittents : il y a des vices cachés presque impossibles à détecter pour le commun des mortels. Pour les liquides, la plupart des téléphones ont une languette qui change de couleur, note Jean-Sébastien Roy, copropriétaire de SecondCell. Pour la trouver, il faut chercher sur l’internet son modèle de téléphone. Plusieurs commerçants comme Benoit Fortin, propriétaire d’Oups, utilisent le logiciel Blancco, qui teste 28 fonctions automatiquement. « Le commun des mortels n’a pas accès à ça, dit-il. Ils pourraient venir à notre boutique… Vous me donnez une idée de business ! »

Vendeur

Tous les revendeurs contactés par La Presse estiment qu’acheter son téléphone usagé chez un commerçant tenant boutique et offrant une garantie d’au moins 90 jours, comme ils le font, demeure la meilleure solution pour ne pas se faire avoir. Si l’on choisit plutôt des sites de revente entre particuliers comme Kijiji et eBay, il y a quelques règles de base à respecter : rencontrer le vendeur en personne, idéalement chez lui, ne pas se laisser bousculer et prendre le temps d’effectuer des tests, se méfier des offres trop belles pour être vraies. « Ce n’est pas Kijiji, le problème, c’est qu’il faut prendre le temps de bien tester avant d’acheter », conseille Benoit Fortin.

Nos experts

Benoit Fortin (Oups)

David Fournier (SOS Phone)

Luc Beaulieu (Recy-Cell)

Stefan Geertsen (GoRecell)

Jean-Sébastien Roy (SecondCell)

Un marché « en progression »

Prise de conscience écologique, hausse des prix des téléphones neufs ou durabilité plus grande des appareils aujourd’hui ? Embryonnaire il y a cinq ans, le marché de la revente des téléphones usagés est manifestement « en effervescence » aujourd’hui, estime Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR) de l’Université du Québec à Montréal.

« L’offre augmente, il y a un changement qui est en train de s’opérer, note-t-il. Il semble y avoir une prise de conscience de gens qui se disent qu’ils vont aller vers des changements moins rapides, qu’ils vont garder leur téléphone plus longtemps que de 13 à 16 mois. »

Depuis près de deux décennies, Deloitte publie ses Prédictions du secteur des technologies, médias et télécommunications. Pour son édition 2019, le directeur de la recherche chez Deloitte Canada et coauteur du rapport, Duncan Stewart, a établi que 15 % des Canadiens ont choisi de vendre leur téléphone, plutôt que de le donner ou de l’abandonner.

Au Québec, note-t-il en entrevue, ce pourcentage est nettement plus bas, à 10 %.

Baisser les prix

À l’autre bout du cycle, 9 % des Canadiens ont acheté un téléphone d’occasion. L’écart entre la vente et l’achat s’explique par le fait que bon nombre de téléphones usagés canadiens sont vendus à l’étranger, explique-t-il.

En extrapolant à partir du poids économique du marché du téléphone cellulaire au Canada, il estime que l’usagé dans ce domaine représente « entre 300 et 400 millions ». « Ce n’est pas un marché énorme, mais il est bien là et je pense qu’il va augmenter », dit-il. Les fabricants vont probablement prendre bonne note de ce changement de comportement et être tentés de baisser leurs prix, croit-il. 

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM

[Les fabricants] sont sensibles aux demandes des consommateurs. Nous voyons d’ailleurs certaines baisses, en prix et en volume.

Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM

Un des premiers commerçants à avoir sauté dans le marché des téléphones d’occasion, Luc Beaulieu, de Recycell, estime avoir triplé son chiffre d’affaires depuis 2016. « J’avais 200 000 $ de ventes, je vais atteindre 700 000 $ cette année », précise-t-il. Comme tous les commerçants dans ce domaine interrogés par La Presse, il note la très grande popularité des iPhone au Québec. « Dans le monde, la proportion de téléphones Android est de 80 %. Ici, c’est l’inverse, à 80 % pour les iPhone. »

Loin de l’Europe

L’argument principal des commerçants est d’offrir des téléphones vérifiés, sous garantie, à un prix qu’ils assurent compétitif par rapport aux petites annonces. Tous comptent sur les ventes en ligne et sur la livraison rapide pour se démarquer. La plupart de leurs téléphones proviennent de lots d’entreprises ou de fournisseurs comme Bell, Telus et Vidéotron. « Si je compare avec Kijiji, on est à peine 5 % à 10 % plus élevés que la moyenne, dit Benoit Fortin, copropriétaire d’Oups, qui compte des boutiques à Québec, Brossard et Jonquière. Nous, on doit facturer les taxes et on offre une protection. »

Même si le nombre de commerces spécialisés dans le cellulaire usagé a augmenté depuis cinq ans, on est encore loin de ce qui existe en Europe, note Fabien Durif. « Ce qui ralentit la progression, ce sont les rabais des fournisseurs, les forfaits qui donnent l’impression au consommateur que le coût est totalement absorbé. »

La pression est forte également de la part des fabricants qui sortent de nouveaux modèles régulièrement, ce qui fait perdre de l’attrait aux plus anciens. « Ce sont de purs stratagèmes commerciaux et c’est au consommateur de résister, de dire qu’il peut attendre quelques mois et payer moins cher sur le marché de l’occasion. On voit dans les études que de plus en plus de consommateurs font ce raisonnement. »