(Paris) Le Canada fait cavalier seul en Amérique du Nord en adhérant à l’« Appel de Christchurch », un engagement international qui vise à enrayer le terrorisme et l’extrémisme en ligne — un geste salué par le président français Emmanuel Macron, qui a tenté de minimiser l’absence remarquée des États-Unis.

Le président Macron recevait à Paris des dirigeants du monde entier, ainsi que des patrons des entreprises de technologies pour élaborer un ensemble de directives baptisées en l’honneur du nom de la ville de la Nouvelle-Zélande où 51 personnes ont été tuées lors d’un attentat perpétré contre des mosquées.

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« L’Appel de Christchurch » a été initié par le président français Emmanuel Macron et la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern.

La réunion était co-présidée par la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, qui réclame plus de mesures pour lutter contre la violence sur les réseaux sociaux après le drame perpétré dans son pays. Une grande partie de l’attaque de Christchurch avait été diffusée en direct sur Facebook, suscitant l’indignation du public et alimentant le débat sur la manière de mieux réglementer les médias sociaux.

Au terme de cette rencontre tenue mercredi, Facebook, Google, Twitter et d’autres géants du secteur de la technologie se sont engagés à intensifier leurs efforts pour éviter que leurs plateformes ne soient utilisées pour propager de la haine, organiser des groupes extrémistes et diffuser des attaques.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a souligné que bon nombre de ces engagements correspondent aux priorités énoncées dans la Stratégie nationale de lutte contre la radicalisation menant à la violence, que le gouvernement du Canada a lancée en décembre 2018.

En conférence de presse, le président français a salué l’apport du Canada dans ce processus. La présence du premier ministre Trudeau à cet événement, à quelques mois d’une élection, « marque son engagement personnel » à l’égard de cette cause, a-t-il noté.

M. Macron a expliqué que les discussions au sujet d’un meilleur encadrement des entreprises technologiques avaient commencé lors du G7 à Charlevoix l’an dernier, sommet au cours duquel le président américain Donald Trump s’était dissocié du communiqué de presse final.

Même en Amérique du Nord, là où « la liberté d’expression est une valeur très forte, essentielle », il est nécessaire de mieux encadrer le contenu relayé sur les réseaux sociaux, a indiqué M. Macron.

« L’administration américaine s’est exprimée pour dire qu’elle soutenait les objectifs, qu’elle ferait tout pour coopérer. Elle n’a pas formellement endossé à ce stade l’appel de Christchurch, mais nous ferons tout pour qu’il puisse y avoir un engagement concret et plus formel », a poursuivi le président français.

Pas le « luxe » d’attendre

Le ministre canadien de l’Innovation, Navdeep Bains, aussi présent à Paris pour une réunion préparatoire du G7, est allé un peu plus loin, en point de presse, en soutenant que le Canada n’avait « pas le luxe de maintenir le statu quo ». Il a bon espoir que les États-Unis rentreront dans le rang.

La première ministre néo-zélandaise a parlé de « L’Appel de Christchurch » comme d’une « réponse mondiale à une tragédie survenue sur les côtes de (son) pays, mais qui a finalement été ressentie dans le monde entier ».

Cette feuille de route vise à prévenir de tels abus sur l’internet, mais elle insiste tout de même pour conserver « les principes d’un internet libre, ouvert et sécurisé, sans compromettre les droits de l’homme et les libertés fondamentales ».

L’accord a également été adopté par les entreprises américaines de technologies, dont Amazon, Microsoft et YouTube, ainsi que les sociétés françaises Qwant et DailyMotion.

Parmi les pays qui ont soutenu les efforts de la France et de la Nouvelle-Zélande, mis à part le Canada, on retrouve le Royaume-Uni, la Jordanie, la Norvège, le Sénégal et l’Indonésie, ainsi que la Commission européenne (l’organe exécutif de l’Union européenne). Plusieurs autres pays qui n’étaient pas à la rencontre ont aussi appuyé la démarche.

Facebook visé

Dans la foulée de l’attaque de Christchurch, Facebook a été vigoureusement critiqué pour ne pas être intervenu dans la diffusion de l’attaque. Avant la réunion à Paris, le réseau social a donc multiplié les annonces pour dire qu’il resserrait les règles pour ses utilisateurs.

Le réseau social s’est engagé à sévir dès qu’une personne ne respecte pas ses politiques en partageant une vidéo en direct. Si elle le fait, une seule fois, elle ne pourra plus utiliser le service pendant 30 jours. Et si elle recommence, elle pourrait être bannie complètement de Facebook.

Facebook, qui possède également les réseaux Instagram et WhatsApp, investira également 7,5 millions pour améliorer une technologie visant à repérer des vidéos et des images qui pourraient avoir été manipulées pour éviter d’être détectées.

Dans une déclaration commune, les entreprises de technologie se sont notamment engagées à investir davantage pour améliorer leur capacité à détecter et retirer des contenus terroristes et violents. Elles ont aussi annoncé leur intention de mieux vérifier les vidéos diffusées en direct, pour s’assurer qu’elles ne contiennent pas des images violentes.

Les géants du web ont aussi promis d’étudier comment les algorithmes favorisent parfois le contenu extrémiste. Cela aiderait à trouver des moyens d’intervenir plus rapidement et de rediriger les utilisateurs vers des « options positives crédibles ou des contre-récits ».

Un plan qui manque de mordant ?

Taylor Owen, un expert en contenu numérique, se désole de voir que l’« Appel de Christchurch », quoi que louable, rate sa cible. À son avis, le contenu jugé terroriste ou extrême n’est que « la pointe de l’iceberg » et ne s’attaque pas aux racines du problème.

Il se désole de voir que les directives de la déclaration adoptée mercredi seront non contraignantes et craint qu’elles soient appliquées selon le bon vouloir des entreprises technologiques.

« Ce dont on a besoin est un agenda de gouvernance plus large, qui amène l’économie digitale dans les lois, les normes et les règles de la gouvernance démocratique. Les gouvernements doivent gouverner », tranche-t-il.

Karen Eltis, professeure titulaire en droit à l’Université d’Ottawa, a une vision plus positive de la situation. Elle croit que le Canada est un « carrefour » entre l’Amérique du Nord et l’Union européenne qui serait bien placé pour viser un « juste équilibre » entre l’évolution de la technologie et l’application des lois.

— Avec l’Associated Press