Légende urbaine pour les uns, fait avéré pour les autres, une accusation contre Facebook ressurgit régulièrement depuis des années : le réseau social aurait la capacité d'utiliser le micro des téléphones intelligents pour écouter ses abonnés.

En avril 2018, interrogé à ce sujet par un sénateur américain, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a qualifié cette accusation de « théorie du complot » sans fondement. Plus récemment, le chroniqueur d'un quotidien montréalais s'est étonné de voir apparaître des publicités sur son compte Facebook sur des sujets dont il avait seulement discuté avec sa conjointe. Son tweet a suscité un débat animé, alors que d'autres internautes ont rapporté des anecdotes semblables.

Sollicité par La Presse, Facebook a indiqué ne pas vouloir commenter ce sujet à nouveau. Un porte-parole a toutefois rappelé qu'en juin 2016, on avait publié un communiqué au titre explicite : « Facebook n'utilise pas le microphone de votre téléphone pour des publicités ou pour le fil d'actualités. »

Lisez le communiqué de Facebook (en anglais).

Montagne de données

Est-il plausible que le géant mondial des réseaux sociaux écoute en tout temps à leur insu ses 2,2 milliards d'abonnés ? Les experts interrogés n'y croient pas. La totalité des médias crédibles qui se sont penchés sur la question, du Wall Street Journal au Guardian en passant par Wired, arrivent à la même conclusion.

« Je ne pense pas que Facebook fasse ça, il n'y a pas d'indication sérieuse en ce sens », répond Éric Parent, PDG de Logicnet, une firme québécoise de cybersécurité.

Premier obstacle important : un usager le moindrement alerte s'apercevrait rapidement que la consommation de données de son téléphone est anormalement élevée. Pour les milliards d'abonnés de Facebook, il s'agit carrément d'une masse astronomique de données. Le média américain Wired s'est d'ailleurs amusé à la calculer : à 130 Mo par usager, Facebook devrait stocker chaque jour 286 milliards de mégaoctets, ou 286 pétaoctets. C'est près de 500 fois la circulation quotidienne actuelle de données vers les serveurs de Facebook.

Autorisation à donner

L'autre argument convaincant, c'est l'inutilité de ce procédé, alors que Facebook dispose déjà de sources innombrables pour le ciblage publicitaire. « Peut-être que dans un futur apocalyptique, Facebook pourrait être tenté de le faire, mais rien n'indique qu'ils le fassent : ils n'en ont tout simplement pas besoin », résume Jean Loup Le Roux, spécialiste en sécurité informatique.

Techniquement, rappelle-t-il, une application comme Facebook doit disposer d'autorisations pour accéder, par exemple, au micro du téléphone. « Tant que l'utilisateur n'a pas activé cette autorisation, ils n'y ont pas accès. »

« D'un point de vue scientifique, c'est théoriquement possible, mais pourquoi le feraient-ils ? se demande Éric Parent. Ils ont accès à tellement d'information sur toi qu'ils savent ce que tu vas penser avant même que tu ne le penses. »

Cette capacité à prédire le comportement de ses usagers explique en partie pourquoi cette accusation est aussi souvent reprise. Quant aux coïncidences improbables qui sont rapportées, elles peuvent s'expliquer simplement : on réalise souvent mal à quel point on laisse des traces sur l'internet.

« Tu n'as fait que parler à ta blonde, mais elle a peut-être googlé de son côté, illustre M. Parent. Tu as peut-être fait une requête à ton Google Home ou ton Echo. Les compagnies partagent toute cette information. Tout est analysé. »

Une expérience maison

La Presse a procédé pendant 24 heures à une petite expérience sans prétention. Nous avons mentionné lors de conversations téléphoniques cellulaires que nous cherchions des bottes de pluie et une station de ski encore ouverte, écrit des textos à ce sujet et posé des questions à notre Google Home sur ces sujets. Pas de recherche sur Google, évidemment pas de statut Facebook. Jamais notre compte Facebook n'a affiché de publicité en lien avec ces deux sujets. Cette « expérience » rappelle un phénomène bien connu, celui des événements paranormaux : pour une coïncidence qui frappe l'imagination, on oublie l'écrasante majorité de fois où rien ne s'est produit. « C'est un test empirique, ça vaut ce que ça vaut, note Jean Loup Le Roux. À l'inverse, vous avez des gens qui publient leur scénario d'horreur, où ils parlent de jouets pour chiens sur YouTube et voient une publicité tout de suite après. Ces tests n'ont pas été faits dans des conditions scientifiquement strictes. »