L'arsenal juridique est-il suffisamment développé au Québec pour encadrer la révolution du transport électrique ? La Presse a interrogé Pierre-Luc Desgagné, avocat associé au cabinet Langlois, et ancien vice-président aux affaires corporatives chez Hydro-Québec. À la société d'État, il avait été responsable du lancement et de la mise en place du premier réseau de recharge publique de véhicules électriques du Québec, le Circuit électrique.

Le droit parvient-il à s'adapter à la nouvelle donne du transport électrique ?

Oui, et on l'a bien vu avec la loi zéro émission adoptée à l'automne dernier. Cette loi favorise la vente de véhicules électriques au Québec en fixant des objectifs de vente de véhicules électriques aux différents constructeurs automobiles. Cela s'accompagnera de mécanismes incitant au respect de ces objectifs, comme des crédits qu'un constructeur obtiendrait en atteignant sa cible et qu'il pourrait ensuite revendre à un constructeur moins performant.

Cette loi suffira-t-elle à stimuler l'offre de véhicules électriques ?

Le législateur devait appuyer le mouvement vers l'électrification des véhicules : le Québec représente la moitié du marché de la vente d'automobiles électriques au Canada. Le reste de l'encadrement juridique devra suivre, car la loi zéro émission ne fera pas tout.

Quelle évolution peut-on envisager ?

On pourrait imaginer autoriser la revente d'électricité, interdite actuellement, pour favoriser le développement de stations de recharge dans la province. La revente avait été interdite à une époque où l'électricité était un produit de base pour s'éclairer et se chauffer au Québec. Aujourd'hui, elle sert à se déplacer. Cette électricité carburant devrait donc être traitée différemment.

Comment cela peut-il se traduire concrètement ?

On devrait se poser une question de fond : souhaite-t-on avoir une tarification de l'électricité carburant qui soit différente des tarifs existants ? Si la réponse est affirmative, on peut envisager d'ouvrir la revente de cette énergie, ce qui favoriserait la diversité des joueurs sur le marché de la recharge. Et cela ouvrirait de nouveaux marchés...

Lesquels ?

Puisqu'une recharge rapide prend 20 minutes, une station de recharge pourrait proposer des services complémentaires au conducteur et à ses passagers durant ce moment. Cela peut être des services alimentaires et tout autre service adapté à l'expérience client. On ouvrirait un marché, sur le modèle du Circuit électrique d'Hydro-Québec. Et cela ne nécessite pas de déployer de réseau puisque l'électricité est déjà présente partout au Québec.

La recharge se fait avant tout au domicile ou sur le lieu de travail. Le droit est-il adapté à ces usages récents ?

Quand on recharge à la maison ou si l'employeur est mobilisé, il n'y a pas de problème. Par contre, on voit survenir des difficultés dans les copropriétés. La réglementation n'est pas adaptée. Certains syndicats de copropriétaires ont commencé à s'organiser, en appliquant des règles, parfois très compliquées pour les conducteurs d'automobiles électriques.

Comment faciliter l'accès à la recharge en copropriété ?

C'est un défi auquel le Québec devra répondre... et auquel certains pays ont déjà apporté une réponse. On le voit notamment en France, où un droit à la prise a été mis en oeuvre : les copropriétés sont tenues de permettre d'équiper les places de stationnement en prises de recharge électrique, aux frais des copropriétaires concernés.

Des acteurs de l'industrie réclament un encadrement juridique de l'automobile autonome au Québec. La province est-elle en retard de ce point de vue ?

Nos décideurs observent une prudence qui les honore. Avant de mettre sur nos routes des véhicules autonomes, nous devons pouvoir couvrir les notions de sécurité. Il est normal qu'on s'assure que tout a été prévu, pensé et essayé auparavant. Mais de ce que j'entends, le Québec ne souhaite pas traîner la patte sur ce sujet.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

« La revente avait été interdite à une époque où l'électricité était un produit de base pour s'éclairer et se chauffer au Québec. Aujourd'hui, elle sert à se déplacer. Cette électricité carburant devrait donc être traitée différemment », estime Pierre-Luc Desgagné, avocat associé au cabinet Langlois.