Sur papier, les statistiques concernant la façon dont les entrepreneurs se préparent à transférer leur PME ont de quoi faire peur. Toutefois, il est rassurant de voir des chefs d'entreprise s'appliquer afin de léguer leur «bébé» avec le plus grand soin. En voici quelques exemples.

De par sa taille (environ 70 employés) et son important volume d'activité, Groupe Crevier avait les moyens de ses ambitions pour passer le flambeau à la troisième génération. Comptant parmi les plus importants acteurs indépendants dans la vente de produits pétroliers au Québec, la PME a investi à ce jour plus de 100 000$ pour préparer sa relève dans le cadre d'un processus de transfert de quatre ans qui prendra fin l'été prochain.

«On s'est questionnés sur ce qu'on allait faire avec l'entreprise, explique Pierre Crevier, président sortant de Groupe Crevier. À partir du moment où mes deux soeurs et moi avons choisi de vendre à nos enfants, on s'est associés à un important cabinet de comptables qui offre un service d'accompagnement.»

Rencontre entre actionnaires. Définition d'un plan. Tests psychométriques soumis aux repreneurs. Présentation aux membres de la relève des conditions de transition menant à la vente définitive. Intégration graduelle de ceux-ci dans les activités quotidiennes (dont une participation aux séances du C.A. à titre d'invités) de l'entreprise. Création d'un conseil de famille. Élaboration entre les cédants et les repreneurs d'un plan stratégique pour les années à venir. Le clan Crevier n'a pas voulu faire les choses à moitié.

«Ça peut sembler long et cher comme processus, mais nous sommes trois actionnaires à vendre à trois autres actionnaires, explique Pierre Crevier. On passe d'une deuxième à une troisième génération. Il faut s'assurer que tout le monde est sur la même longueur d'onde.»

Durant ce long exercice de transfert, la PME montréalaise n'a pas négligé sa croissance. Elle vient de faire l'acquisition d'une entreprise de lubrifiants en Colombie-Britannique. Et elle est sur le point de signer une entente avec un important acteur du secteur de l'alimentation en vue de transformer en «stations multiservices» quelques-unes des quelque 215 stations Crevier qu'elle approvisionne en pétrole.

Aide gouvernementale

Les petites entreprises peuvent, elles aussi, se prendre en main quand vient le temps de préparer un transfert. Elles ont d'ailleurs intérêt à le faire, puisque 42% du PIB canadien est généré par des entreprises de cinq employés et moins.

L'entreprise Rotatronique en est un exemple probant. Denis Métivier, ancien patron de cette PME de Granby spécialisée en instrumentation et contrôle dans les secteurs électriques et électroniques, s'y est pris 10 ans à l'avance pour préparer sa relève.

Cela est tout à son honneur. Mais malgré toute la bonne volonté qu'il y a mise, M. Métivier n'a pu penser à tout. Résultat, son repreneur, Jean-Sébastien Deschambault, a dû faire appel à des ressources externes. Heureusement pour lui, Emploi-Québec était là pour l'épauler financièrement.

«Quand Denis est parti il y a deux ans et demi, je me suis rendu compte que j'avais des faiblesses en leadership et en gestion des ressources humaines, explique M. Deschambault. Je me suis tourné vers une ancienne contremaîtresse de chez IBM qui fait maintenant du coaching.»

Un tel service, étalé sur un an, lui a coûté environ 10 000$. Emploi-Québec en a payé la moitié. Idem lorsque Jean-Sébastien Deschambault a embauché une firme pour restructurer son entreprise de sept employés. «Sans l'aide d'Emploi-Québec, je n'aurais pas eu les moyens de me payer ce genre de service», confie le patron de Rotatronique.

Deux mentors

Lorsqu'il avait 54 ans, en 2006, Raymond Talbot a mis la main sur la boulangerie Audet, une PME de Saint-Jérôme en difficulté financière. But de l'opération: redresser cette boulangerie avec son fils Guillaume afin que celui-ci en devienne à la fois coactionnaire et directeur général. Résultat, non seulement fiston est désormais le grand patron, mais il a aidé à faire croître les ventes de la PME, les faisant passer de 1,2 million à 13 millions.

Guillaume Talbot a pu compter sur l'aide de deux mentors. Enfin, trois si l'on compte son père. Il a tout d'abord fait ses classes aux ventes et à la distribution de la boulangerie pendant qu'un ancien collaborateur de son père le coachait à titre de DG «provisoire».

Lorsque le jeune repreneur a pu enfin diriger la PME, une firme externe a été appelée en renfort pour une autre période de coaching. Plusieurs dizaines de milliers de dollars plus tard, Guillaume Talbot vole de ses propres ailes. Le nouveau patron s'est fait les dents en participant à des grands changements structurels qui ont complètement transformé l'entreprise.

Aujourd'hui, son père Raymond, connu pour avoir vendu les Librairies Champigny à Renaud-Bray, n'est jamais bien loin pour conseiller son fils.

LES TRANSFERTS D'ENTREPRISES EN CHIFFRES

> Plus de 50% des propriétaires de PME n'ont pas de plan de relève formel.

> Plus de 50% des cédants potentiels n'ont pas identifié de relève.

> Plus de la moitié des repreneurs potentiels (18-34 ans) juge ne pas avoir les compétences pour prendre la relève.

> Un déficit de releveurs est prévu d'ici 2020 au Québec: 38 000 selon la Fondation de l'entrepreneurship.

> Seulement le tiers des PME survivent à la première génération de repreneurs et 10% à la deuxième.

> Près de 70% des tentatives de relève familiale échouent.

> Une majorité de propriétaires compte sur la vente de leur entreprise comme principale source de retraite.

Sources: Fondation de l'entrepreneurship (2010), Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (2012) et Gouvernement du Québec (2010).