Trois athlètes, trois étapes de la vie. Cette semaine : Jean-Luc Brassard, 44 ans, ex-champion de ski acrobatique.

À 44 ans, Jean-Luc-Brassard est parvenu à mi-pente de la vie.

Et il vient d'en traverser la section la plus accidentée.

L'ancien skieur acrobatique gagne son pain comme travailleur autonome - il bosse, quoi. « J'ai été un des athlètes chanceux qui ont toujours pu tirer leur épingle du jeu dans leur après-carrière, même si je n'ai pas de formation ou de diplôme. »

Cette après-carrière s'est poursuivie sur l'erre de sa descente victorieuse aux Jeux olympiques de Lillehammer, en 1994, dans l'épreuve des bosses. On se rappelle ses genoux qui tressautaient comme la barre à aiguille d'une machine à coudre.

« À ma grande surprise, j'ai vécu presque 20 ans sur mon titre olympique, ce qui est exceptionnel », constate-t-il.

« J'ai fait attention de ne pas le surexploiter, mais j'ai toujours réussi à tirer des revenus ici et là. »

LE SKI AVANT LES BOSSES

Jean-Luc Brassard est avant tout curieux. Même en compétition, il s'intéressait d'abord au premier terme de l'expression « ski acrobatique ».

« Il n'était pas question que j'aille dans une pente de bosses avant que je connaisse le centre au complet », raconte-t-il.

Cette connaissance des grandes stations européennes et nord-américaines lui assurera ses premiers revenus au terme de sa carrière athlétique.

« J'ai travaillé pour SkiPresse, pour des agents de voyages, j'ai été conseiller pour un paquet de destinations ski : je les avais toutes faites ! »

En réponse à l'appel de Daniel Gauthier, qui vient d'en faire l'acquisition, il travaille pendant six ans au Massif de Charlevoix.

Sa faconde, qu'on avait découverte à Lillehammer, l'a aussi bien servi. Pendant 13 ans, il a présenté la série Comment c'est fait, à ZTélé.

AU DÉPART

Mais avant l'or, l'argent a longtemps été une préoccupation. « Ma carrière a souvent approché la fin, alors qu'elle n'avait même pas commencé, tout simplement à cause des coûts », confie-t-il.

Originaire de la région de Valleyfield, il a commencé au bas de la pente, avec des compétitions régionales, puis provinciales. 

Malheureusement, en sport amateur, les premiers succès accroissent les casse-têtes financiers. Les courses sur le circuit nord-américain étaient à peine rémunérées : 150 $ pour la première place, 100 $ pour la deuxième et 50 $ pour la troisième, se remémore-t-il.

Ses parents, tous deux enseignants, ne pouvaient assumer seuls les frais.

« C'était beaucoup des commanditaires locaux, Club Optimiste, restaurateurs de Valleyfield : c'était des gens qui nous donnaient de petits montants, mais plusieurs petits montants faisaient en sorte que ça fonctionnait. »

Il travaillait tout l'été pour apporter de l'eau à son moulin.

« Je m'étais fait une spécialité de tout ce qui était extérieur : jardinier, paysagiste, fermier... » - Jean-Luc Brassard

Au moment où sa carrière est menacée par le manque de fonds, un homme d'affaires lui donne 1000 $ comptant, qui lui permettent de terminer sa saison en Europe. « Ces 1000 $ se sont avérés salvateurs, parce que j'ai pu obtenir suffisamment de bons résultats pour terminer dans le top 8 international - en fait, j'avais terminé troisième. Par le fait même, la Fédération canadienne payait une partie de mes dépenses l'année suivante. »

LE GRAND BOND (AVEC UNE CHAUSSURE DE SKI)

Sa descente victorieuse à Lillehammer le propulse. Il a 21 ans. « J'avais fait un bond médiatique qui était assez gros, après ma médaille d'or », narre-t-il. 

Il rencontre alors l'agent de la biathlonienne Myriam Bédard, l'homme d'affaires Jean-Marc St-Pierre, qui négocie pour lui des contrats de commandite.

« C'était des montants qui étaient bien différents de mes restaurateurs de Valleyfield. Je tombais sur le dos chaque fois », raconte le champion, dont la spécialité était plutôt d'atterrir sur ses skis.

« J'étais habitué de demander 100 ou 200 $. "Tu demandes un contrat de 10 000 $, ça n'a pas de bon sens, il va te revirer de bord !" Mais ça marchait. » - Jean-Luc Brassard

LA VALEUR D'UNE PIASTRE

« Et là, j'ai commencé à pouvoir mettre un petit peu d'argent de côté. »

L'homme d'affaires le met aussi en contact avec des conseillers en placements.

« On a pu élaborer un petit portefeuille. Je n'ai jamais été quelqu'un de très dépensier, et peut-être à cause de ce passé de compétiteur, où je connaissais la valeur d'une piastre. »

Son portefeuille, en partie investi en REER, a toujours comporté une réserve, « advenant que ça aille mal. Et ironiquement, ç'a été mal très récemment ».

SORTIR DE SA RÉSERVE

En décembre 2014, il est nommé chef de mission de l'équipe olympique canadienne pour les Jeux de Rio 2016 - un poste bénévole, mais exigeant, dont il avait eu l'expérience à Sotchi.

« Malheureusement, le timing a été épouvantable, et j'étais sur la sellette à un moment où il ne fallait pas. »

Quelques mois plus tard, au début d'octobre 2015, le président du Comité olympique canadien (COC) Marcel Aubut donne sa démission à la suite d'une plainte pour harcèlement déposée par une employée. Dans les mois qui suivent, Jean-Luc Brassard désapprouve la manière dont le COC gère les suites de la crise.

« Et encore là, mon franc-parler m'a coulé. Je ne comprenais pas que le Comité olympique reste muet, et ça m'a entraîné vers le fond. »

Il démissionne de son poste de chef de mission en avril 2016.

« Ma crédibilité en a pris en coup pendant un bout de temps, mais surtout financièrement. Là, j'ai mangé une volée. » - Jean-Luc Brassard

Il est forcé de puiser dans la précieuse réserve qu'il constituait depuis des années.

« À partir de la mi-décembre 2015, pendant sept mois, il y a zéro revenu. Rien. Tout y a passé. »

Heureusement, en dépit de la controverse, Océan Télévision lui propose au printemps 2016 d'animer la deuxième saison d'une émission sur les parcs nationaux du Canada. « Maintenant, la roue se remet à tourner tranquillement. J'anime une petite chronique à Radio-Canada, d'abord sur les parcs nationaux, et maintenant sur la montagne, le dimanche matin, dans l'émission de Franco Nuovo. Tranquillement, je reprends le dessus. »

PAS UN CASSE-COU

Il a commencé à reconstituer sa réserve.

« Contrairement à ce que les gens pensent, je n'ai jamais été vraiment casse-cou, et surtout pas de manière financière. Je suis plutôt assez conservateur. »

La soixantaine et la lointaine retraite ne l'inquiètent pas. Comme pour ses descentes en compétition, tout est question de préparation.

« Ce que je veux, c'est qu'il en reste un jour et que ça puisse me servir. »

L'objectif est d'atteindre le bas de la pente en parfaite maîtrise.