Vient un moment où l'Atlas entrepreneur ne peut plus porter son univers sur ses seules épaules. Quand, où et comment doit-il chercher du soutien?

Quelle est la mesure du surhomme-orchestre dépassé? Le nombre d'employés? Le chiffre d'affaires? Le taux d'accroissement des cheveux blancs?

Il n'y a pas de mètre étalon de la surcharge entrepreneuriale. «L'entrepreneur est normalement le moteur de son entreprise et lorsqu'il devient un frein, il est temps qu'il se pose des questions», indique Bernard Grandmont, conseiller d'affaires et associé principal chez Raymond Chabot Grant Thornton. «Lorsqu'il devient le goulot d'étranglement de son entreprise, il est temps qu'il s'entoure.»

Le baromètre physique peut lui aussi prévenir d'une tempête prochaine. «Sur le plan personnel, quand vous commencez à montrer des signes d'épuisement professionnel, il est souvent trop tard, observe de son côté Yan Cimon, professeur à la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval. Il faut demander de l'aide avant.»

Fréquemment, ajoute-t-il, ce sera au moment où il fera appel au capital extérieur que l'entrepreneur sera forcé de structurer davantage sa créature.

Commencer par commencer

S'entourer, d'accord. Mais par où commencer?

«S'il n'y avait qu'un seul conseil à donner, ce serait celui de commencer quelque part, estime Yan Cimon. N'essayez pas de résoudre la quadrature du cercle dès le premier jour. Commencez quelque part et en cheminant, vous allez très vite voir où sont les forces et les points à améliorer.»

Connais-toi toi-même

L'entrepreneur créera d'abord des postes où les besoins sont les plus criants, c'est-à-dire où il consacre le plus de temps non stratégique. Ce sont souvent les tâches pour lesquelles il a le moins d'aptitudes ou d'expérience. «Une bonne croissance passe d'abord par une bonne connaissance de soi, pour savoir où sont les angles morts, les points d'ombre où on va avoir besoin d'aide extérieure», décrit Yan Cimon.

Chercher à l'interne et à l'externe

L'entrepreneur peut d'abord faire appel ponctuellement à des cabinets de services professionnels externes, mais il devra rapidement se constituer une équipe à l'interne.

Or, il entretient une vision, il nourrit une passion qu'il devra partager avec cet entourage. «Un des éléments importants, c'est qu'il puisse développer un très bon sentiment d'appartenance chez les membres de son équipe interne, peu importe leur expertise, observe Bernard Grandmont. Il faut qu'ils croient dans l'entreprise et aient le goût de s'y investir.»

Dans la recherche de nouvelles compétences de direction, il ne faudra pas négliger les employés actuels. La personne déjà en poste connaît bien l'entreprise et ses rouages. «Elle sera opérationnelle dans un laps de temps relativement court, observe Yan Cimon. Le désavantage de cette option, c'est qu'elle n'apporte pas nécessairement le brassage de nouvelles idées dont l'entreprise aurait besoin.»

Une formation, un conseiller temporaire, voire, par précaution, des tests psychométriques préalables augmenteront ses chances de succès dans ce nouveau poste.

Un conseil: un comité consultatif

Solo est synonyme de solitude. L'entrepreneur a besoin d'échanger. Pourquoi pas un comité consultatif?

L'entreprise accélère. Le paysage défile si vite que son propriétaire perd ses repères. Un comité consultatif l'aidera à garder le cap sur ses objectifs.

Il sera habituellement composé de deux ou trois personnes de l'extérieur à l'entreprise et d'une ou deux personnes de l'entreprise. Ils pourront se réunir au rythme d'une fois par trimestre.

«Leur but n'est pas de prendre des décisions à la place de l'entrepreneur, mais de l'aider à cheminer pour réaliser sa vision stratégique», explique Bernard Grandmont.

Ce comité ne lui dicte pas ce qu'il doit faire. Il guide plutôt sa réflexion, en s'appuyant sur l'expérience de ses membres.

«Dans les cas que j'ai vécus, ça devient pour les entrepreneurs une source d'inspiration, de ressourcement indéniable», souligne M. Grandmont.

Dans ce contexte, le choix de ses membres est capital. L'entrepreneur doit s'adjoindre des conseillers dont l'expérience complétera ses propres compétences, pour combler les carences de son entreprise et ses propres points faibles.

L'entrepreneur a besoin d'être remis en question. Et c'est également le rôle de ce comité consultatif. «Quand il y a des gens complémentaires autour de la table, soutient M. Grandmont, ça permet vraiment de challenger l'entrepreneur pour l'aider à atteindre sa vision.»

QUELQUES CONSEILS POUR LE COMITÉ

CONSEIL NO 1

Il est préférable qu'au moins un membre provienne d'une entreprise de deux à trois fois plus grande que la nôtre. Il connaît le parcours qui nous attend.

CONSEIL NO 2

Ses membres doivent être totalement objectifs et indépendants. «Lorsqu'il y a apparence de conflit d'intérêts, ça vient limiter les échanges», soutient Bernard Grandmont. «Ce ne sont pas des clients ni des fournisseurs, ajoute-t-il. Ils ne diront pas ce que l'entrepreneur veut entendre, mais exprimeront leur propre vision des choses. Ils sont là pour challenger l'entrepreneur.»

CONSEIL NO 3

Les membres du comité doivent manifester une belle qualité d'écoute. «Ils ne sont pas là pour prendre des décisions, rappelle M. Grandmont. Leur capacité d'écoute leur permettra de questionner l'entrepreneur pour l'amener à prendre ses propres décisions - peut-être des décisions différentes de ce qu'il envisageait au départ.» Bref, il s'agit de conseiller en écoutant. Cette capacité d'écoute doit être complétée par une autre faculté de générosité: le partage de son expérience, au moment approprié et avec pertinence.

CONSEIL NO 4

«Environ 20% du temps de réunion doit être consacré à ce qui se passe aujourd'hui, et 80% à l'avenir», affirme enfin Bernard Grandmont.

L'opinion d'Alain Bouchard, président d'Alimentation Couche-Tard

Je ne suis pas bon dans bien des secteurs. Il faut que mes vice-présidents soient meilleurs que moi, dans tel ou tel secteur. Certains sont incapables d'embaucher quelqu'un de meilleur qu'eux.

On ne réalise rien seul. Dès le départ, la croissance se bâtit en équipe.

Depuis le tout début, je me suis bien entouré. J'ai découvert rapidement dans ma vie d'entrepreneur qu'aussitôt que quelque chose était déplaisant pour moi, il valait mieux que quelqu'un d'autre le fasse.

Par exemple, je n'aime pas rencontrer les banquiers. Je préfère nettement aller dans les magasins pour voir mon monde.

En anglais, on emploie le mot empowerment. Nous pourrions l'utiliser dans plusieurs sujets abordés dans ce cahier puisque selon moi, il n'y a rien qui motive plus les personnes que lorsqu'elles se sentent en contrôle de leur destinée. Il faut pour cela un haut niveau de confiance et un système de contrôle (meilleures pratiques, ou benchmarking) bien communiqué et utilisé par tous.

Photo Olivier Pontbriand, collaboration spéciale

Alain Bouchard