Comme toute PME, Les Violons du Roy doit affronter les défis de l'innovation et de la relève. Le chef de l'entreprise a su faire vibrer les bonnes cordes.

« Je reprends la semaine prochaine ma vie de chef itinérant. »

Deux ans et demi après avoir appris qu'il était rongé par une horreur cancéreuse, Bernard Labadie saisit à nouveau la baguette.

En février dernier, déjà, il avait dirigé Les Violons du Roy assis, pour ménager ses forces. « Mais je me suis vite rendu compte que je n'étais pas encore en pleine forme pour tenir un rythme d'activités régulier comme je le faisais avant le cancer. J'ai annulé beaucoup de choses entre janvier et juin derniers. »

Dans son cas, le parallèle entre chef d'orchestre et chef d'entreprise est d'autant plus juste qu'il a fondé lui-même l'ensemble de musique ancienne dont il a assuré la direction pendant 30 ans.

« C'est assez ironique parce qu'au moment où on se parle, il y a une conférence de presse qui se donne à Québec pour annoncer mon successeur. »

À une journée près : la conférence se tiendra en fait le lendemain. On y apprendra que son successeur est le chef Jonathan Cohen - ironiquement, un Britannique débarque à Québec pour prendre la direction d'un ensemble dont le nom évoque le roi de France et qui joue au Palais Montcalm.

RELÈVE OU SUCCESSION ?

La succession du chef fondateur d'un orchestre n'équivaut pas tout à fait à la relève du créateur d'une entreprise, même s'ils partagent un même souci de pérennité.

« Il y a quand même une différence assez importante entre une entreprise qui appartient à quelqu'un, qu'il a fondée, et une institution dont on est le curateur par nature, et non le propriétaire. » - Bernard Labadie

« Même si j'ai fondé Les Violons du Roy, je n'en ai jamais été le propriétaire, je ne suis pas son actionnaire. J'ai un conseil d'administration qui est souverain et qui aurait pu me mettre à la porte n'importe quand. »

Au contraire d'un entrepreneur qui prépare sa relève, Bernard Labadie a pris soin de demeurer en retrait du processus de sélection mené par l'administration des Violons du Roy. 

LEADER ACCEPTÉ

« On a les mêmes préoccupations que les chefs d'entreprise, mais il faut garder en tête que nous ne sommes que les mandataires de l'orchestre, énonce le chef de 53 ans. Si j'avais eu un fils qui était chef d'orchestre - je n'ai pas d'enfant - , je n'aurais absolument pas pu le préparer pour qu'il me succède. Chef d'orchestre, ce n'est pas une tâche qui se transmet de père en fils, qui vient avec la propriété d'entreprise. C'est un leader qui doit être accepté et choisi par l'ensemble de l'organisation, à commencer par les musiciens. »

Accepté par ses troupes ? Pour y parvenir, ni le chef d'entreprise ni le chef d'orchestre ne peuvent compter sur la seule autorité.

« La relation entre un chef et son orchestre a évolué beaucoup depuis 40 ou 50 ans. Quand on me parle de mon métier, je dis toujours : c'est 25 % de compétence et 75 % de psychologie. Et vous ne pouvez pas compenser l'absence de psychologie par une plus grande compétence. »

L'INSTRUMENT PSYCHOLOGIQUE

La (fine) psychologie est l'instrument de prédilection du chef.

Du chef invité, tout particulièrement.

Une semaine typique : arrivée le mardi, deux répétitions le mercredi, une autre le jeudi, une générale le vendredi matin, concert le vendredi soir et le samedi soir, et quelquefois le dimanche après-midi. Avion le lundi.

La relation avec les musiciens est courte et concentrée.

« Quand un orchestre et un chef se rencontrent pour la toute première fois, c'est dans les 15 premières minutes que ça se passe. » - Bernard Labadie

Dans cet espace, les musiciens auront jaugé leur chef qui, pour sa part, aura déjà perçu les forces et les faiblesses de la formation. « Qui sont les gens qui ont une personnalité plus forte, non seulement dans le jeu, mais dans les interactions ? C'est mon travail de les identifier et de travailler avec eux. »

INNOVER DANS LA TRADITION

L'organisme qui n'évolue pas est appelé à mourir. L'innovation est aussi vitale pour l'orchestre que pour l'entreprise. Avec une petite croche qui ajoute à la difficulté.

« Innover avec une matière qui date de 250 ans, c'est un défi particulièrement complexe, soulève Bernard Labadie. Dans notre cas, l'innovation, on l'a mise de l'avant dès les débuts de la formation de l'orchestre. »

Depuis quelques années, le mouvement de la « performance practice » invitait à reproduire l'interprétation et les instruments propres à l'époque de création de l'oeuvre.

Faute d'un nombre suffisant d'instruments de facture ancienne à Québec, Bernard Labadie a fondé son orchestre sur des instruments modernes, avec l'intention de revenir éventuellement aux origines. « On ne l'a jamais fait, parce qu'on s'est rendu compte qu'avec cette approche, on avait développé une personnalité unique et très particulière. Ça nous créait une sonorité qui nous était absolument propre. »

Ainsi, les musiciens des Violons du Roy utilisent des instruments modernes, mais des archets d'époque.

« On était à peu près les seuls à faire ça et on était vus un peu comme des bâtards, ajoute- t-il. L'ironie, c'est qu'avec les années, cette approche a été légitimée. »

LA CLÉ DE L'INNOVATION

Chez Les Violons du Roy, l'innovation ne se joue pas que sur cet accord en apparence dissonant.

« Le plus grand défi de l'innovation, pour une institution comme Les Violons, c'est où et comment aller chercher le public. Car on constate partout dans le monde que la formule traditionnelle d'abonnement à des séries de concerts perd de la vapeur. »

Les orchestres doivent trouver des formules plus souples, qui répondent aux nouvelles façons de consommer, plus intuitives, plus spontanées.

Parmi les réponses : les clients des Violons du Roy peuvent composer leur propre abonnement en choisissant parmi les différentes séries.

INVESTIR À LONG TERME

Mais attirer un jeune public est une partition autrement difficile.

Comment faire vibrer ce segment de marché ? Bernard Labadie répond avec un souvenir.

« Il n'y avait pas de musicien dans ma famille. Je suis devenu musicien parce qu'un prof à l'élémentaire a remarqué que j'avais de l'oreille. »

Les matinées symphoniques, à l'époque, attiraient les classes dans les salles de concert. « Ça ne se fait plus. Aux Violons, on a développé une autre approche : on s'intéresse aux écoles où il y a des activités musicales particulières. »

Les Violons du Roy s'associent avec ces écoles pour monter des concerts auxquels participent les élèves.

« C'est une expérience qui marque les jeunes musiciens. » L'immense majorité d'entre eux ne deviendront pas des musiciens professionnels, « mais on espère que ça va rester avec eux et leur donner l'envie de venir nous entendre ensuite ».

C'est un investissement à très long terme, reconnaît-il. « Il faut planter tout de suite les graines qui vont fleurir dans 10 ou 15 ans. »