Ce n'est plus un secret: un bien produit en sol canadien peut difficilement faire concurrence à un produit fabriqué en Asie à moindre coût. Sauf s'il s'agit d'un produit à forte valeur ajoutée destiné à un marché spécifique. Le fabricant québécois de bottes de travail Royer l'a compris. C'est pourquoi cette PME des Cantons-de-l'Est mise sur les produits de niche. Ce faisant, elle exporte des bottes de spécialité dans plusieurs dizaines de pays.

Au cours des 25 dernières années, Royer, qui possède une usine de 100 employés à Lac-Drolet, près de Lac-Mégantic, a créé des gammes de bottes en collaboration avec des entreprises québécoises. «On s'est rendu compte que ces bottes étaient uniques et qu'elles avaient un fort potentiel de vente à l'international», explique Jerry Hould, directeur développement des affaires.

Ainsi, à la demande des alumineries québécoises, des bottes de travail protégeant contre le métal en fusion, qui peuvent se mettre et s'enlever en un tournemain (adieu, lacets encombrants), et qui sont antimagnétiques, ont été mises au point, puis améliorées au fil des ans, par l'équipe de recherche et développement de Royer. Ces bottes, vendues quelques centaines de dollars la paire, trouvent actuellement preneur dans quelque 30 alumineries disséminées dans 10 pays.

Même chose pour les bottes conductrices, utilisées par les travailleurs qui construisent des lignes électriques ou qui en font l'entretien. Ces bottes ont été mises au point de concert avec Hydro-Québec. Ces produits de spécialité sont désormais offerts partout sur la planète, là où il y a des lignes de transport d'électricité.

Bien sûr, ce ne sont pas des centaines de milliers de paires de bottes haut de gamme que Royer exporte tous les ans. Mais ce segment permet à la PME québécoise de très bien tirer son épingle du jeu. La PME québécoise va même jusqu'à offrir plusieurs modèles et plusieurs possibilités dans un même segment de marché. Autrement dit, elle peut facilement adapter ses produits à ses clients.

Dans la foulée, l'avenir s'annonce prometteur, soutient Jerry Hould. Royer a récemment signé un contrat avec l'armée canadienne pour la fabrication de 72 000 paires de bottes (avec option sur 22 000 autres paires). Or, Royer est à ce point convaincue de l'excellence de ce nouveau produit qu'elle s'affaire déjà à courtiser d'autres corps militaires à l'étranger.

Pour ses produits d'utilisation générale (ses bottes destinées à l'entrepreneur en construction ou au rénovateur du dimanche), Royer n'a eu d'autre choix que de se tourner vers l'Asie pour leur fabrication.

«Autrement, pour une question de coûts, on n'arriverait tout simplement pas à concurrencer des produits comme ceux de Kodiak dans notre propre marché», explique Jerry Hould, qui préfère taire la quantité de bottes produites à l'étranger et dans ses installations de Lac-Drolet.

Selon Jean-François Ouellet, de HEC Montréal, le bonheur est certes dans les produits de niche pour les entreprises exportatrices du Québec. Mais ce n'est pas une sinécure, prévient-il.

«Pour les États-Unis, l'Europe de l'Ouest, le Japon et les autres pays très développés, c'est vrai que les entreprises qui produisent ici n'ont pas le choix d'offrir des produits à valeur ajoutée, explique le professeur agrégé en marketing. Là où c'est dangereux, c'est quand le segment de marché visé n'a plus les moyens de payer la plus-value.»

Le marché de niche n'est d'ailleurs plus l'unique façon de se distinguer, ici comme ailleurs, ajoute-t-il du même souffle. «On est dans une économie qui fait de l'hypersegmentation. Chaque client représente un segment de marché. Ça devient de la personnalisation de masse», dit Jean-François Ouellet.