On connaît Claude Castonguay comme le père de l'assurance maladie, mais il est aussi celui du Code des professions. Aujourd'hui âgé de 86 ans, l'ancien ministre de la Santé, de la Famille et du Bien-être social revient sur la genèse du système professionnel québécois et livre ses réflexions sur l'avenir de ce dernier.

Q : Comment est né le Code des professions ?

R : En 1966, on m'a demandé de présider la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social. Nos travaux nous ont amenés à examiner le rôle des corporations professionnelles dans le domaine de la santé, comme le Collège des médecins et l'Ordre des pharmaciens. Au même moment, un grand nombre d'organismes souhaitaient former de nouvelles corporations. On observait aussi de sérieux conflits entre des professions. Il y avait des disputes opposant les optométristes aux ophtalmologistes. Les différentes branches de la comptabilité avaient aussi leurs mésententes. Les collèges et les corporations professionnelles perdaient la confiance du public. Il fallait faire un changement majeur.

Nous avons demandé à un avocat réputé, Me Claude-Armand Sheppard, d'analyser l'organisation professionnelle dans d'autres juridictions. Après avoir consulté son volumineux rapport, nous avons écarté l'idée des diplômes ou des certifications d'État nécessaires à la pratique de professions, comme c'est le cas aux États-Unis. Nous craignions de politiser l'adhésion aux professions, d'introduire du favoritisme et de créer une réglementation trop bureaucratique. Les professionnels avaient besoin d'une certaine autonomie. C'est pourquoi nous avons choisi l'autorégulation par les professionnels, mais de façon encadrée pour assurer la protection du public. De là est venu le projet de créer l'Office des professions, qui surveillerait les ordres.

J'ai proposé l'idée du Code des professions au Conseil des ministres après avoir été nommé ministre de la Santé en 1970. En 1971, nous avons préparé le Code - un travail considérable. Nous l'avons déposé en 1972, puis nous avons tenu des audiences de consultation. Le Code a finalement été adopté en 1973 avec un appui de la majorité des députés.

Q : Quarante ans plus tard, êtes-vous satisfait de l'évolution du système professionnel québécois ?

R : Depuis sa création, il n'a jamais été remis en cause fondamentalement. Il a produit des résultats somme toute positifs pour la population québécoise. Je ne pense pas qu'il faille le réformer en profondeur, mais c'est un secteur qui a certes besoin d'être adapté aux réalités actuelles. À l'époque, nous avons mis l'accent sur l'inspection professionnelle, la discipline, l'organisation de la pratique des membres et la formation continue. L'objectif était d'identifier les individus qui se comportaient en amateurs et de renforcer la mise à jour des compétences des professionnels. Depuis ce temps, il est apparu des soucis ayant trait à l'éthique, la probité morale et l'intégrité, des valeurs qui vont au-delà de que ce qui pouvait être compris dans les mesures disciplinaires introduites dans le Code à l'origine. C'est un changement qui s'impose et qui, à mon avis, aurait dû être fait plus tôt.

Q : Plusieurs professions réclament leur ordre. Qu'en pensez-vous ?

R : Ce n'est pas nouveau : nous avions déjà traité de cette question dans le rapport de la commission d'enquête. Nous étions alors assaillis par une foule de demandes. Les critères pour l'admission au système professionnel sont clairs et ont été raisonnablement appliqués depuis. Car il y a des dangers à constituer trop facilement de nouveaux ordres professionnels. Par exemple, vous pouvez exclure des gens d'une profession en raison de l'instauration de quotas, ou encore réglementer certaines pratiques de telle sorte qu'elles ne sont plus productives.

Q : La mission des ordres professionnels consiste à protéger le public. Or, une portion significative de ce même public croit que les ordres existent plutôt pour défendre les intérêts de leurs membres. Comment expliquez-vous cela ?

R : Ça ne m'étonne pas. Les médias mettent en évidence les crises et les problèmes. Chaque fois qu'un médecin ou qu'un ingénieur est pris en défaut, c'est monté en épingle. Pendant ce temps, le bon travail fait par de très nombreuses corporations est passé sous silence. Dans ce contexte, la perception du public n'est pas surprenante.