Alors que la majorité des diplômés en génie préfèrent devenir salariés pour les grandes firmes québécoises ou la fonction publique, un petit nombre d'entre eux décide de faire le grand saut entrepreneurial. Et ils ont des idées, ils innovent et ils créent de la richesse. Portrait de ces oiseaux rares qui ont le goût du risque.

«Les ingénieurs sont des gens formés pour réaliser des projets de grande envergure, dit Paule Tardif, directrice générale du Centre d'entrepreneurship HEC-Poly-UdeM. Ils ont cette énergie et ce goût d'entreprendre des choses. Et ils ont une pensée structurée qui permet la planification. C'est une qualité importante en entrepreneurship. De plus, ils sont cartésiens et systématiques. Dans les crises ou les situations difficiles, ils ont une bonne attitude et ne se laissent pas envahir par les émotions.»

On peut s'étonner, alors, que la culture entrepreneuriale ne soit pas davantage développée chez les ingénieurs. Selon un sondage effectué par le Réseau des ingénieurs du Québec, seulement 6% des ingénieurs sont propriétaires de leur entreprise.

«À l'école, nous ne percevons pas un énorme intérêt pour l'entrepreneuriat chez les étudiants, dit Maxime Cournoyer, président du Club des ingénieurs entrepreneurs de Polytechnique. Notre club a justement pour but de sensibiliser les étudiants à l'entrepreneuriat au moyen de conférences et d'activités.»

Innover

Toutefois, les ingénieurs qui décident de lancer leur entreprise sont généralement très innovateurs. Ils se lancent souvent en affaires sur la base d'une idée qu'ils ont développée pendant leurs études.

«Une grande partie de notre clientèle est formée de jeunes ingénieurs qui débarquent avec des projets qu'ils ont commencés dans leurs cours, ou lors d'activités hors campus», dit Paule Tardif.

Les ingénieurs aiment résoudre des problèmes. «Ce sont des gens qui ont vécu des expériences, ils ont observé des manques dans une entreprise, constaté des besoins, et se sont dit: je vais faire quelque chose pour aider», explique Robert Dumontet, directeur du Centech, le Centre de l'entrepreneurship technologique de l'École de technologie supérieure.

D'autres sont influencés par leurs professeurs qui font de la R&D. «Dans les cours, les étudiants entendent dire que tel secteur est en train de se développer et représente le marché de l'avenir, ajoute M. Dumontet. Ils décident de tenter leur chance et lancent des produits très novateurs, qui sont souvent en avance sur leur temps, ou encore, prennent des technologies existantes et les améliorent.»

Le talon d'Achille

Si les ingénieurs ont des idées géniales pour innover, ils se heurtent toutefois à leurs limites.

«Ils sont très techniques, ce qui peut les amener à passer beaucoup de temps à développer leurs produits et leurs prototypes, au détriment du temps passé à vendre et à commercialiser, dit Paule Tardif. Ce ne sont pas tous des vendeurs naturels. En fait, 90% des nouvelles entreprises technologiques ont un problème de vente et de commercialisation. Le Québec est un tout petit marché pour le genre de produits qu'ils offrent. Ils doivent viser l'exportation et développer les marchés américains, canadiens et européens.»

Pour aider les nouveaux ingénieurs entrepreneurs à mener à bien leurs projets, des organismes comme le Centech et le Centre d'entrepreneurship HEC-Poly-UdeM offrent un large éventail de services d'encadrement à l'incubation, au prédémarrage et au démarrage pour leurs étudiants et diplômés.

Maadi Group mise sur l'aluminium

Alexandre de la Chevrotière, le président et fondateur de Maadi Group, a souvent été son propre patron. Avant de fonder son entreprise en 2005, ce diplômé en génie mécanique de l'ETS a été sous-traitant dans le domaine de la construction dans l'Ouest canadien et aux États-Unis.

Le terme «Maadi» est un acronyme pour Most Advanced Aluminium Design and Inspection. La jeune firme offre différents services d'ingénierie et de design clés en main et des produits faits d'aluminium.

Son produit phare, le MakeABridge, est un système de pont modulaire qui peut servir de passerelle piétonnière entre des édifices, au-dessus des autoroutes, pour les bateaux ou comme pont d'urgence pour les grands véhicules. L'entreprise peut même fournir des structures pour élargir des ponts déjà construits, afin d'y ajouter des pistes cyclables ou des passages pour piétons.

L'aluminium est un matériau méconnu et sous-utilisé chez nous en construction, explique Alexandre de la Chevrotière.

«En Amérique du Nord, il est utilisé seulement à 15%, alors qu'en Europe, c'est autour de 30%, dit-il. Pourtant, c'est un matériau très durable. Mais ce qui se fait en Europe arrive plus tard ici. Nous sommes des précurseurs. Nous voulons nous positionner pour être la firme la plus reconnue dans le secteur quand l'aluminium sera davantage utilisé en construction.»

Pour en arriver là, il faut beaucoup de persévérance, ajoute le jeune ingénieur. «Être entrepreneur, c'est apprendre à vivre avec le risque, dit-il. Parfois je n'ai pas de salaire assuré et je dois quand même continuer. Mais je sais que les investissements que l'on fait aujourd'hui vont être payants dans cinq à dix ans.»

Biomomentum: de salariés à entrepreneurs

Martin Garon et Éric Quenneville, deux diplômés en génie biomédical de Polytechnique, étaient salariés dans une entreprise quand celle-ci a décidé de fermer le service pour lequel ils travaillaient. Qu'à cela ne tienne, ils ont décidé de racheter des actifs de cette société pour fonder Biomomentum.

L'entreprise vend des systèmes destinés à mesurer et tester les propriétés mécaniques des tissus humains à des laboratoires ou des centres de recherche. Elle offre aussi les services de tests avec ces appareils pour des compagnies pharmaceutiques. Leurs appareils servent par exemple à étirer des échantillons de peau pour en mesurer la rigidité, ou à tester d'autres tissus humains comme les tendons ou le cartilage. Ces tests sont importants dans la recherche sur certains traitements pour des maladies comme l'arthrite. L'entreprise a remporté le premier prix dans la catégorie innovation technologique au Concours québécois en entrepreneuriat.

«Lorsque tu es employé d'un centre de recherche ou d'une entreprise, les décisions importantes sont prises par d'autres, dit Martin Garon. En étant entrepreneur, on peut faire avancer les choses à la vitesse que l'on veut.»