L'univers québécois du génie est actuellement confronté à trois défis.

Primo: les effectifs y sont insuffisants, surtout en génie civil. Secundo: cette pénurie ira en s'accentuant avec le départ à la retraite des baby-boomers. Tertio: les ingénieurs actuellement en poste doivent parfaire leurs connaissances afin de mieux s'adapter à cette nouvelle réalité qu'est le développement durable.

«C'est une très mauvaise nouvelle pour la société québécoise, mais c'est une excellente nouvelle pour les gens qui étudient ou qui travaillent déjà en génie», explique François Granger, président du Réseau des ingénieurs du Québec (le Réseau IQ), un organisme qui compte quelque 59 000 membres.

L'équation est simple, poursuit M. Granger. Moins il y a d'ingénieurs, moins il y a de projets qui peuvent se concrétiser dans les délais prescrits. Ce ne sont d'ailleurs pas les projets qui manquent ces temps-ci. Par exemple, avec tous les travaux d'infrastructures actuellement en cours aux quatre coins de la province, les besoins en génie civil sont titanesques.

Besoin d'ingénieurs civils

«Tout ça est cyclique. Il y a 10-15 ans, il y avait trop d'ingénieurs civils. Aujourd'hui, il en manque. Le ministère des Transports va multiplier ses budgets par sept au cours des dix prochaines années. La demande en génie civil ira en s'accentuant dans le secteur public, mais surtout dans les entreprises de construction et les bureaux de génie-conseil», dit M. Granger.

Selon lui, les besoins en génie civil sont particulièrement criants dans les centres urbains, principalement dans les grandes régions de Montréal et de Québec, où les prévisions d'embauches avoisinent les 75%. En région, les demandes en génie civil existent, mais ce sont surtout des ingénieurs miniers, des ingénieurs géologiques, voire des ingénieurs électriques ou chimiques qui sont particulièrement recherchés.

L'exploitation de mines existantes, la découverte de nouveaux gisements miniers et l'intérêt récent pour les gaz de schiste expliquent en partie cet énorme besoin en ingénierie, signale le président du Réseau IQ.

Pour en revenir au génie civil, les différentes maisons d'enseignement québécoises devraient suffire à la demande au cours des prochaines années, croit Pierre G. Lafleur, directeur enseignement et formation à l'École polytechnique de Montréal (voir autre texte).

Mais pour ce qui est des autres secteurs d'activités, ce ne sont pas seulement le manque de candidats qui feront pencher la balance, mais davantage l'environnement où l'on aura besoin d'eux.

En effet, près de la moitié des entreprises dont les besoins sont en région ont de la difficulté à recruter des ingénieurs. Surtout celles qui mènent des activités dans les régions ressources, c'est-à-dire l'Abitibi, le Saguenay Lac-Saint-Jean, la Côte Nord, le Nord du Québec, le Bas-Saint-Laurent et la région Gaspésie Îles de la Madeleine.

Cette statistique émane d'une étude annuelle menée par le Réseau IQ. Baptisée «Enquête du réseau IQ sur le marché du travail», cette étude s'intéresse aux besoins de 200 des 500 plus gros employeurs en génie au Québec. Ensemble, ces entreprises prévoient embaucher 1936 ingénieurs et 648 finissants en 2010.

Plus de 60% de ces postes sont concentrés dans la région de Montréal. Comme il faut s'y attendre, l'attrait des centres urbains fait en sorte qu'on remarque un léger surplus de l'offre sur la demande dans les grandes régions de Montréal et Québec, et que les régions ressources sont aux prises avec un déficit.

Baby-boomers à la retraite

À l'instar de plusieurs autres secteurs d'activités, le départ à la retraite des baby-boomers n'aide en rien l'actuelle pénurie d'ingénieurs au Québec.

«Ça n'affectera pas la profession demain matin, mais sur un horizon de cinq à dix ans, ça risque d'être important comme manque à gagner», explique François Granger, docteur en génie chimique.

Autre défi pour les ingénieurs de la Belle Province: l'avenir de la profession se tourne vers le développement durable, c'est-à-dire la connaissance des nouveaux matériaux, le développement des simulations informatiques, les changements climatiques pour ne nommer que ceux-là.

«Pour les ingénieurs qui viennent de sortir des universités et qui sont déjà en emploi, il y a d'importantes mises à jour qui s'imposent. Depuis deux ans, nous avons triplé notre offre de formation professionnelle auprès de nos membres. Peu importe le type de génie dans lequel on évolue, il faut dorénavant penser à plus long terme, tenir compte qu'un objet ou une infrastructure arrivera en fin de vie et qu'il sera un jour déconstruit», explique le président du Réseau IQ.

Et d'ajouter: «Il ne faut plus juste mettre en application l'expression du berceau au tombeau, mais aussi du berceau au berceau, c'est-à-dire que les biens serviront à construire autre chose à la fin de leur vie utile. Ça change complètement les façons de travailler d'un ingénieur.»

Les universités font de leur mieux

Pour contrer la pénurie de main-d'oeuvre en génie, les universités ont admis un plus grand nombre de jeunes ces derniers temps. Bref, elles font de leur mieux, mais leurs ressources sont limitées.

À l'École polytechnique de Montréal, le nombre d'admissions en génie civil est passé de 50 à 200 au cours des cinq dernières années.

«Un an après la fin de leurs études, 97% de nos étudiants ont un emploi. Mais à 200 étudiants, nous ne pouvons en prendre davantage. Il faut d'ailleurs garder en tête que cela est cyclique. Il faut répondre à la demande à court terme» explique Pierre G. Lafleur, directeur enseignement et formation à l'École, l'un des plus importants établissements d'enseignement et de recherche en génie au Canada.

Selon M. Lafleur, les inscriptions en génie, tous secteurs confondus, ont augmenté de 30% depuis cinq ans dans son établissement. Pour combler les besoins des autres secteurs qui, selon la maison d'enseignement, seront porteurs au cours des prochaines années, l'École a créé deux nouveaux programmes: le premier en génie biomédical (le seul du genre au Canada), de même qu'un baccalauréat en génie aérospatial.

Ironiquement, les inscriptions sont à la hausse en génie civil, où les besoins sont criants, mais il le sont moins dans des secteurs où la demande est tout aussi forte, sinon davantage.

«Le génie des mines ne compte que 30 ou 40 étudiants en ce moment, alors que les besoins sont immenses. Bien sûr, il faut être prêt à aller vivre en région, mais ce sont des emplois où le salaire est deux fois plus élevé que dans les autres disciplines en génie», fait remarquer M. Lafleur.