L'industrie du génie-conseil québécois a fait couler beaucoup d'encre ces dernières années, et 2015 ne s'annonce pas différente. Au menu, des questions entourant le projet de loi 26, les accusations criminelles déposées contre SNC-Lavalin, mais aussi le dépôt à l'automne du rapport final de la commission Charbonneau. De quoi continuer à alimenter bien des discussions. Mais à quand l'occasion de tourner la page?

Cette question, Claude Décary aimerait bien pouvoir y répondre. Le président du conseil de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) constate chaque jour combien les pratiques douteuses du passé de certains de ses membres ont pu avoir des répercussions négatives sur l'industrie tout entière. Et il a hâte que la situation change, parce que les contrats ne pleuvent toujours pas.

«Pour plusieurs entreprises, ce n'est pas le Klondike qui s'annonce, dit celui qui est aussi président-directeur général de la firme Bouthillette Parizeau. Il n'y a pas un secteur qui ne soit pas affecté.»

Baisse de cotisations

Cette morosité teinte depuis déjà plusieurs mois l'industrie du génie-conseil québécois. L'AICQ a d'ailleurs enregistré une baisse de 20% du nombre de ses cotisations au cours des 3 dernières années, ce qui correspondrait, selon elle, à une perte avoisinant les 5000 emplois chez l'ensemble de ses membres.

Une conséquence certes d'une mauvaise conjoncture économique, reconnaît l'AICQ, mais aussi du contexte de «crise» dans le secteur de la construction, selon elle.

L'association, qui représente plus d'une trentaine de firmes, cherche d'ailleurs à clore ce chapitre, question d'en ouvrir un nouveau, plus radieux. Pour ce faire, elle a imposé des consignes strictes à ses membres en matière d'éthique et de pratique d'affaires. Cette année, elle s'est aussi activée à l'externe en participant aux travaux qui entourent le projet de loi 26.

Celui-ci a pour objectif de permettre à Québec de récupérer les sommes qui ont fait l'objet de fraudes dans le cadre de contrats publics attribués ces dernières années. Une fois adoptée, la loi permettra entre autres aux entreprises fautives de s'asseoir volontairement à table avec le gouvernement afin de négocier la valeur des remboursements qui lui sont dus.

«On veut vraiment que ça fonctionne, souligne Claude Décary. Et tout le monde travaille en ce sens.»

Et que penser des recommandations à venir dans le rapport final de la commission Charbonneau? Le président du conseil de l'AICQ en fait peu de cas.

«C'est certain qu'on aurait préféré que le rapport soit déposé avant le 30 novembre pour qu'on puisse passer à autre chose, dit-il, mais on ne pense pas que ça va créer de grands bouleversements dans l'industrie parce que plusieurs mécanismes ont déjà été mis en place.»

Travail de l'AMF

Parmi ces mécanismes, il y a celui que chapeaute l'Autorité des marchés financiers (AMF). Celle-ci s'affaire, depuis 2013, à certifier une à une les entreprises qui souhaitent soumissionner des contrats publics.

Depuis octobre dernier, l'AMF s'attarde aux sociétés qui ciblent les contrats de 5 millions de dollars et plus. «Un groupe de 400 à 500 nouvelles entreprises à enregistrer», évalue Sylvain Théberge, porte-parole de l'organisme.

Cette étape ne représente toutefois qu'un jalon. L'AMF sera éventuellement amenée à se pencher sur le cas des entreprises voulant participer à des appels d'offres de 1 million et plus, puis de 100 000$ et plus.

«Il est prévu que le gouvernement abaisse la barre graduellement», explique Sylvain Théberge, sans toutefois pouvoir indiquer quand, et selon quels barèmes, une nouvelle vague d'entreprises aura à obtenir sa certification de la part de l'AMF. «Cette décision est la prérogative du gouvernement», indique-t-il.

Questionné à ce sujet, le secrétariat du Conseil du trésor n'a pas indiqué à quel moment un nouveau groupe d'entreprises sera invité à obtenir sa certification de l'AMF.

«L'annonce d'un abaissement se fait suffisamment à l'avance pour laisser le temps de bien informer les entreprises concernées», indique toutefois son porte-parole, soulignant du coup que la Loi sur les contrats des organismes publics prévoit au moins 30 jours entre la publication d'un décret et son entrée en vigueur.

Compte tenu du nombre d'entreprises qui restent à évaluer, les industries de la construction et du génie-conseil mettront encore quelques mois avant de clore un chapitre pour le moins tumultueux de leur histoire.

Ensuite, peut-être, pourront-elles tourner la page.