L'Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC) de l'Université de Montréal et la société pharmaceutique mondiale Pfizer viennent de signer une entente d'un genre nouveau. Ensemble, ils vont développer un nouveau médicament, de A à Z.

Il s'agit de soigner l'obésité morbide précoce, une condition génétique qui entraîne des risques graves de cancer. La nouvelle est bonne pour les personnes atteintes de cette variante génétique. Mais elle est aussi indicatrice d'un changement stratégique chez les grandes pharmaceutiques.

Découvreurs

Après avoir fermé leurs labos de recherche montréalais (on pense à Merck, Astra Zeneca et Boehringer Ingelheim) on a pu croire qu'elles fermaient le robinet financier en recherche. Or, l'argent se remet à couler, mais dans une autre direction. Les sociétés pharmaceutiques investissent maintenant dès le travail initial, chez le découvreur universitaire.

L'entente Pfizer-IRIC est un exemple. Il y en a d'autres. L'IRIC a révélé en septembre dernier qu'elle avait réussi à synthétiser une nouvelle molécule en collaboration avec Bristol Myers Squibb. Cette molécule est un médicament potentiel visant les facteurs déclenchant le cancer. On voit donc les pharmaceutiques à l'université à la recherche de nouvelles avenues thérapeutiques à développer.

Cela influence-t-il le reste de l'écosystème financier des sciences de la vie? «Oui, absolument!», répond Laurence Rulleau, vice-présidente, développement des affaires chez Univalor, la société de valorisation de la recherche de l'Université de Montréal. «Maintenant, nous discutons régulièrement avec les grands fonds de capital de risque spécialisés dans les sciences de la vie. Ces fonds sont à l'affût de nouvelles molécules qui peuvent donner naissance à la nouvelle génération de biotechs québécoises. Nous recevons régulièrement la visite des fonds Lumira, Amorchem et Sanderling, par exemple.»

Comme le saumon qui remonte la rivière, l'argent des pharmaceutiques et des fonds spécialisés remonte en amont de la recherche. On investit maintenant plus tôt, dès le labo universitaire.

Knock-out!

C'est exactement dans ce contexte que le fonds québécois Amorchem a organisé l'événement Knock-out au symposium BioContact, à Québec, en octobre dernier. Cinq jeunes chercheurs universitaires triés sur le volet s'affrontaient sur le ring. Il s'agissait pour eux de présenter leurs recherches et de séduire les juges.

Le gagnant, John Stagg, de la faculté de pharmacie de l'Université de Montréal, a remporté la ceinture chez les poids lourds et une bourse de 500 000$.

«Notre but est atteint, souligne Élizabeth Douville, associée principale chez Amorchem. Nous cherchions des ententes nouvelles et nous voulions rejoindre les jeunes chercheurs détenteurs de molécules prometteuses. Nous nous y étions préparés.»

Et cela, d'une manière toute nouvelle. Amorchem a monté sa propre équipe de chimie médicinale, NuChem. Sa mission consiste à guider les premiers pas de la découverte dans la bonne direction.

La surprise est qu'un fonds de capital de risque monte une équipe de scientifiques elle-même. L'autre est que cette équipe est constituée d'anciens et d'anciennes de labos fermés par Merck Frosst à Montréal.

Nouvelles biotechs

Et les retombées? On verra donc apparaître de nouvelles biotechs grâce à l'argent des fonds et des sociétés pharmaceutiques. Mais à long terme, les retombées risquent de nous échapper.

«Un fonds comme le nôtre doit sortir de son placement un jour, afin de réaliser son profit, dit Mme Douville. Depuis les 10 dernières années, nous n'avons pas eu d'autres choix que de vendre la biotech à des intérêts étrangers.» On pense à la montréalaise Enobia vendue en 2011 à l'américaine Alexion pour plus de 600 millions.

Selon Mme Douville, les vraies retombées fiscales, et les emplois, sont exportés. «Cela nous prive aussi de sociétés de biotech de taille moyenne. Cela enlève la masse critique nécessaire pour compter vraiment dans le monde.»

Selon elle, seul un fonds de très grande taille avec mission de développement économique peut prendre le relai des investisseurs initiaux. Qui? «Je pense à des instruments comme la Caisse de dépôt ou ce que faisaient les Innovatech et la SGF à l'époque», dit-elle.

Accompagnement

Michelle Savoie, directrice générale de Montréal InVivo, la grappe des sciences de la vie du Montréal métropolitain, partage le pronostic de Mme Douville. «Il faut trouver des mécanismes d'accompagnement pour nos biotechs et pour nos entreprises de technologies médicales de taille moyenne plutôt que de les vendre systématiquement à l'étranger.»

Mme Savoie voit des possibilités du côté de la politique d'innovation du présent gouvernement. «Il y a là ce que les documents de la politique appellent des "gazelles", ces entreprises qui avancent très vite et qu'il faut donc soutenir financièrement pour que leur croissance se fasse sans trébucher. Beaucoup de nos biotechs sont des gazelles. Peut-être y a-t-il un outil intéressant de ce côté.»