La quantité de documents que le gouvernement fédéral fait traduire à l'externe serait en chute libre depuis cinq ans, selon divers intervenants du milieu de la traduction.

Afin de respecter la Loi sur les langues officielles, tous les organismes fédéraux ont l'obligation de faire traduire leurs documents. «C'est aux ministères que revient la décision d'utiliser les services du Bureau de la traduction au gouvernement ou les services d'un fournisseur privé», explique Jessica Kingsbury, porte-parole de Travaux publics et Services gouvernementaux.

Mais voilà, la structure aurait été modifiée, selon Danièle Marcoux, directrice des programmes de traduction à l'Université Concordia. «Le gouvernement fait encore de la traduction. Mais au lieu de centraliser les efforts au Bureau de la traduction, qui offrait ses services à toutes les composantes de la fonction publique, on a rapatrié une grande partie du travail dans les ministères. De petites équipes de traducteurs y travaillent très fort pour abattre cette besogne.»

Anne Rulkin, directrice du Carrefour des langagiers entrepreneurs, note elle aussi des changements pour les travailleurs à l'externe, depuis 2010. «La quantité de documents traduits en sous-traitance a énormément diminué. Le gouvernement a redistribué le travail à l'interne ou fait appel à des gens qui ne sont pas nécessairement des traducteurs professionnels. Résultat: plusieurs pigistes qui traduisaient exclusivement pour le gouvernement se sont tournés vers une clientèle corporative.»

Fin d'une époque

Pendant des décennies, le Canada a été reconnu dans le monde entier comme une référence linguistique. Cette réputation appartient au passé, selon Mme Rulkin. «Quand je vivais en Belgique, le Bureau de la traduction du gouvernement canadien était LA référence pour la traduction de l'anglais vers le français. On était certains de trouver une traduction brillante, uniforme et cohérente dans les différentes sections du site web du gouvernement. Aujourd'hui, ce n'est plus ce que c'était. On remarque une perte de qualité.»

À ses yeux, la façon dont la traduction est gérée dans l'appareil public est intimement liée à la philosophie du parti au pouvoir. «C'est en lien avec l'importance qu'on accorde à la langue et à la culture», dit-elle.

Danièle Marcoux croit quant à elle qu'un changement de parti au pouvoir ne changerait rien à la situation. «Harper ou non, on ne pourra pas aller contre cette tendance, affirme-t-elle. N'oublions pas que les traducteurs sont désormais tributaires des outils d'aide à la traduction et que bien des gens ont le fantasme de la machine à traduire, au lieu de payer des travailleurs. On veut nous réduire à des techniciens qui s'assurent que le produit craché par la machine est correct.»

Compétition internationale

Un autre coup dur pourrait être donné à l'industrie de la traduction canadienne: l'Accord de libre-échange avec l'Union européenne pourrait éventuellement permettre aux différents ordres de gouvernement de faire appel à des traducteurs étrangers. «Les services de traduction sont présentement exclus des accords commerciaux internationaux. La majorité des services de traduction sont faits au Canada selon les modalités de la Politique sur le contenu canadien», rassure Jessica Kingsbury, porte-parole de Travaux publics et Services gouvernementaux.

«Si les choses changent, j'ose espérer que les gouvernements vont protéger les traducteurs québécois et canadiens en faisant affaire avec eux, répond Réal Paquette, président de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec. Depuis quelques années, nous demandons que certains types de traduction soient réservés aux traducteurs agréés.»

François Lavallée, vice-président à la formation et à la qualité au cabinet de traduction Edgar, croit cependant que la traduction est une activité qui s'exporte bien mal. «Sauf rares exceptions, les traducteurs d'autres pays ne sont pas les mieux placés pour traduire à l'intention d'un public canadien. Plusieurs façons de dire les choses nous sont propres en gestion, en affaires publiques, en publicité, en santé, en technologie, etc. À chaque détour de phrase, il y a un risque que les mots utilisés soient différents selon qu'on est au Canada ou en Europe. On parle la même langue, mais on ne parle pas pareil, et cela nuit à l'efficacité de la communication.»