La majorité des propriétaires de centres commerciaux dans lesquels on trouvait un magasin Target restent pris avec un immense local vide, neuf mois après l'annonce du départ de Target du Canada.

« À l'annonce, on pensait que 70 à 80 % des locaux trouveraient preneur dans un horizon de six à neuf mois, a dit lors d'un entretien Ross J. Moore, directeur national de la recherche à l'agence immobilière CBRE. Nous voilà rendus 9 mois plus tard, avec seulement 40 % des 133 magasins qui ont été repris. »

Les résultats varient selon les provinces. La Colombie-Britannique affiche un taux de reprise dépassant les 70 %. Le Québec est à 45 %, mais fait mieux que l'Ontario et l'Alberta.

Chez Cominar, qui avait sept magasins Target dans ses centres commerciaux, dont six au Québec, le portrait n'a guère changé dans les derniers mois. Canadian Tire en a racheté deux: à Place Alexis-Nihon, à Montréal, et au Carrefour Rimouski. Pour les autres, toujours rien, du moins pour le moment.

« Il y a un forum important, l'ICSC, à Toronto lundi prochain, indique Guy Charron, vice-président exécutif, exploitation, commerce de détail. C'est un endroit propice à la négociation. Il est normal de penser que des annonces vont être faites à cette occasion. »

Cominar a racheté en 2014 les centres commerciaux secondaires qui appartenaient à Ivanhoé Cambridge comme le Mail Champlain, à Brossard, Rockland, à Mont-Royal, et Place Vertu, dans l'arrondissement de Saint-Laurent. Place Vertu comptait Target parmi ses locataires majeurs. Place Vertu est un centre secondaire quand on le compare, par exemple, au Centre Fairview Pointe-Claire.

Cet état des lieux donne une idée de l'ampleur des défis que doivent relever les propriétaires de centres commerciaux pour rester pertinents.

Remplacer Target prend plus de temps que prévu en raison de la rareté des locataires d'envergure cherchant des locaux de 100 000 pieds carrés et par le coût qu'entraîne la subdivision des locaux. « Les propriétaires veulent aller au bout de la piste du locataire unique avant d'envisager la subdivision », précise M. Moore.

Un autre facteur qui explique le peu d'empressement des propriétaires à subdiviser les anciens Target est que plusieurs locataires de taille intermédiaire, comme Bureau en gros, sont plutôt en période de rationalisation, et non pas en expansion.

Future Shop, dont les magasins ont une superficie moyenne de 25 000 pieds carrés, est une autre illustration du phénomène. La chaîne a fermé 66 magasins et a transformé les autres en Best Buy en 2015. Mexx, Gap, Jacob, Laura et SmartSet ont aussi fermé des boutiques dans les deux dernières années.

VENTES ENCOURAGEANTES EN 2015

Le commerce de détail est-il en crise au pays ? « Ce serait exagéré de dire ça, mais il vit certainement une profonde transformation », répond M. Moore, de CBRE, qui fait valoir que le taux d'inoccupation a à peine monté d'un demi-point en six mois, à 4 %.

Les ventes en 2015 sont encourageantes dans les circonstances. Les ventes au pied carré des centres fermés du Québec affichent une hausse de 12 % au cours des 12 derniers mois, soit un peu mieux que la moyenne nationale, qui s'établit à 9,9 %.

Les résultats sont gonflés par les ventes dans les produits électroniques (iPad et autres tablettes, mobiles, tablettes, ordinateurs et consoles de jeux), qui ont bondi de 57 % en un an.

Les propriétaires de mails, toutefois, croisent les doigts pour que Sears Canada, en décroissance depuis des années, ne ferme pas à son tour ses magasins.

« Une fermeture de Sears Canada perturberait sérieusement le secteur du commerce de détail. »

- Ross J. Moore, directeur national de la recherche à l'agence immobilière CBRE

Les centres de deuxième catégorie où sont souvent situés les magasins Sears ne s'en remettraient peut-être pas. Ces centres attirent une clientèle soucieuse des aubaines, un type de consommateurs dans la ligne de mire des détaillants en ligne.

Les vétérans de l'industrie vous le diront : le commerce de détail a toujours été un domaine en perpétuel changement. Des concepts novateurs viennent remplacer des détaillants démodés. Ce qui est nouveau, c'est qu'il est loin d'être sûr que les vedettes de demain s'installeront au centre commercial de banlieue comme jadis.

FUIR LES CENTRES COMMERCIAUX

Fondé en 2010, Surmesur, de Québec, renouvelle l'expérience d'achat de vêtements pour hommes. Il est la version 2.0 du tailleur d'antan. Le détaillant a implanté son propre système de prise de mesure par l'entremise d'un numériseur tridimensionnel. Le client a le choix parmi 8000 tissus, ce qui lui permet de personnaliser à l'extrême son complet, dont la gamme de prix s'étend de 350 $ jusqu'à 1000 $. La confection se fait en Asie et le complet est livré environ trois semaines après l'achat.

« On ouvre notre cinquième boutique à Laval fin octobre, sur le boulevard Le Corbusier, mais pas dans un centre commercial, car le loyer coûte cher, précise au téléphone Vincent Thériault, cofondateur. D'ailleurs, toutes nos succursales sont dans des endroits inusités. »

Sa boutique montréalaise est dans la rue De La Gauchetière, entre Saint-Alexandre et De Bleury, en retrait du Centre CDP.

Le centre commercial fermé traditionnel est loin d'être mort, mais gageons que dans cinq à dix ans, il sera passablement différent de ce qu'on connaît. Reste à imaginer la formule gagnante.