L'axiome de la qualité peut être inversé : l'architecture médiocre est coûteuse. « Il faut être riche pour produire de la non qualité », lance Clément Demers, professeur titulaire à l'École d'architecture de l'Université de Montréal et directeur général du Quartier international de Montréal.

La qualité intrinsèque de la construction n'est pas toujours visible. Du moins pas du premier coup d'oeil. « L'apparence est trop souvent le seul critère », déplore Josef Zorko, associé principal chez DMA Architectes. « On veut quelque chose de beau, bon et pas cher. Mais quand c'est beau et pas cher, généralement, ce n'est pas bon. »

Pour réduire les coûts, l'essentiel sera souvent sacrifié au profit du clinquant. « On coupe les coins ronds à un point où il n'y a plus de coins, dit-il. Il y a des infiltrations d'eau, l'enveloppe du bâtiment se détériore trop rapidement. »

Au montant initial X pour la construction s'ajoute alors le montant Y pour apporter des correctifs, puis le montant Z pour dédommager les locataires mécontents. « Si on avait construit de façon correcte la première fois, il y aurait déjà des économies de ce côté », constate l'architecte.

De son côté, Clément Demers oppose qualité et effet de mode. Il rappelle l'existence d'édifices aux matériaux coûteux mais à l'architecture médiocre. « Très vite ça se démode, et très vite, il faut le remettre au goût du jour. Et quand je dis très vite, on parle de période de dix ans, et quelquefois moins. »

Répondre aux besoins

« Il y a un certain immobilier commercial qui est fait pour dix ans, pour une rentabilité à court terme, et qu'on estime acceptable de démolir après dix ans, observe André Bourassa, président de l'Ordre des architectes du Québec. Ça ne répond pas à mes objectifs de développement durable et de pérennité, mais ils ont une autre logique. »

Cette logique est aussi celle de leurs locataires : ceux-là cherchent les loyers les plus bas.

Toutefois, d'autres locataires montreront d'autres motivations, d'autres besoins... et d'autres moyens. « Si on veut aller chercher des locataires, la question change, soulève Anne Cormier, directrice de l'École d'architecture de l'Université de Montréal. Il y a un intérêt marqué pour une architecture signifiante, ou au moins significative. »

L'édifice de qualité devient la vitrine des intérêts et des valeurs de son promoteur - et par ses conséquents de ses locataires. « On passe le message qu'on est plus dynamique, qu'on veut se positionner pour les années futures, qu'on est en avance, qu'on intègre nos locataires dans une ambiance de gens progressifs », décrit André Bourassa.

L'architecture de tous

La question est également sociale, bien sûr. L'architecture est le signe le plus visible d'une culture. Elle est omniprésente, incontournable, marquante. « Je ne suis pas certaine que dans l'immobilier commercial récent, il y a des exemples d'édifices qui font tout de suite leur chemin dans les livres touristiques qui vantent Montréal », observe Anne Cormier.

Pourtant, le Québec compte tout le talent nécessaire pour produire une architecture commerciale de qualité, qui contribuerait à la réputation de Montréal.

« Je pense que ça ne fait pas partie de nos priorités, ajoute-t-elle. Est-ce qu'il y a un manque d'argent ? Je crois que nous ne sommes pas une société immensément riche, mais ce n'est pas le principal problème. Je pense que c'est un manque d'intérêt. Et peut-être aussi une certaine méconnaissance du potentiel de ce type de bâtiment. »

Heureusement, ces perceptions évoluent.

«Les municipalités demandent de plus en plus un design exceptionnel et qu'on se mesure avec ce qui se passe ailleurs dans d'autres villes », constate Raymond Bouchard président-directeur général de l'Institut de développement urbain du Québec (IDU Québec), principal porte-parole de l'industrie immobilière commerciale au Québec. « Quand les maires visitent d'autres villes, ils veulent ensuite que les propriétaires immobiliers incluent des oeuvres d'art à l'extérieur de leur nouvelles constructions pour leur donner un cachet spécial. Cet aspect est de plus en plus important. C'est une des priorités du maire Labeaume pour les propriétaires immobiliers, qu'il nous a confiée très clairement lors d'une réunion. »

Mais la rentabilité de l'art est un autre débat.

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Entretien sur l'entretien

La qualité architecturale rentable est aussi une question d'entretien.

Quand Josef Zorko rencontre un client qui n'a fait aucun entretien préventif depuis dix ans, il lui demande combien il a payé durant l'année pour l'entretien de sa voiture.

« Vous avez dépensé 3000 $ ? C'est 3000 $ de plus que pour l'entretien de votre bâtiment. » Pourtant, la voiture se déprécie et ne sera conservée que quelques années, alors que l'immeuble est conçu pour durer un demi-siècle et gagne de la valeur avec le temps.

« Je dis aux clients qu'ils doivent dépenser de 1 à 2 % de la valeur du bâtiment sur l'entretien préventif. À long terme, ça devient beaucoup moins coûteux que de laisser les choses se détériorer à un point où il faudra le réparer ou le remplacer en partie. »

Sans compter les dédommagements aux locataires pour les inconvénients, et les coûts de service de sécurité additionnel pour les travaux effectués durant la nuit.