L'Agence spatiale canadienne n'existait pas encore lors du lancement du satellite Alouette, dans la nuit du 28 au 29 septembre 1962. Créée en 1990, installée à Saint-Hubert, en banlieue de Montréal, l'agence est maintenant au centre de l'industrie spatiale du pays. Mais comme elle est aux prises avec des compressions budgétaires, les entreprises canadiennes doivent multiplier les efforts pour faire leur marque sur la scène internationale

Le défi: maintenir sa crédibilité

C'est comme un rêve d'enfant devenu réalité: dans un immense carré de sable parsemé de monticules de gravier, un véhicule à six roues, de la taille d'une tondeuse à gazon, avance lentement. Contrôlé par l'intermédiaire d'un ordinateur portable, il s'immobilise. Son bras robotisé se déploie, le couvercle d'un petit contenant de la taille d'une boîte de conserve s'ouvre pour permettre d'y glisser un échantillon de sol.

Le petit véhicule n'est cependant pas un jouet. C'est un micro rover, le prototype d'un robot motorisé qui pourrait bien un jour arpenter la planète Mars.

Créé par MPB Technologies, Kapvik (carcajou, en inuktitut) a effectué ses premiers tours de roue dans le carré de sable aménagé dans les locaux de l'entreprise, à Pointe-Claire. Plus tard, il a subi une batterie de tests dans un environnement un peu martien, les mines Jeffrey et Norbestos, dans la région d'Asbestos.

L'Agence spatiale canadienne a octroyé une série de contrats de plusieurs millions de dollars à la société MacDonald, Dettwiler and Associates (MDA), établie en Colombie-Britannique, et à Neptec Design Group, d'Ottawa, pour la conception de gros rovers d'exploration pour la Lune et la planète Mars. Mais l'agence a également attribué un contrat de 2 millions de dollars à MPB Technologies pour la conception d'un rover plus petit, plus économique.

L'idée, c'était de démontrer combien d'instruments scientifiques on pouvait mettre sur un petit rover», indique le responsable du projet, Wes Jamroz, de MPB.

MPB, une entreprise qui compte environ 150 employés, se spécialise dans les instruments optiques. C'est cette expertise qui lui a permis de décrocher le contrat pour la conception du micro rover, un véhicule qui est notamment doté de caméras infrarouge, ultraviolette et stéréo.

La conception du rover lui-même, ce n'est pas ce qui est important, soutient M. Jarmoz. Ce qui compte, c'est quel type d'expériences scientifiques il est possible d'effectuer avec ce véhicule.»

L'optique constitue une des grandes forces de l'industrie spatiale canadienne, avec la robotique et les satellites.

La région de Québec ne donne pas sa place, avec l'INO, l'Institut national d'optique, qui a déjà participé à plusieurs projets spatiaux. L'institut a notamment mis au point une caméra infrarouge dans le cadre d'un projet piloté par les agences spatiales canadienne et argentine. En juin 2011, l'instrument a pris le chemin de l'espace à bord d'un satellite.

Au niveau international, nous sommes mesurés par rapport à notre héritage spatial, affirme François Châteauneuf, responsable des projets spatiaux à l'INO. On peut faire beaucoup de développement, mais si on n'a pas d'équipement dans l'espace, on n'a pas beaucoup de crédibilité. Avec ce projet, on a gagné beaucoup de crédibilité.»

Un deuxième instrument de l'INO, un sitomètre en flux (un appareil qui sert à calculer une position), s'apprête pour sa part à effectuer un grand voyage vers la Station spatiale internationale.

Ce n'est pas une technologie nouvelle, mais jusqu'ici, il s'agissait d'un instrument assez volumineux, indique M. Châteauneuf. Nous avons conçu une version plus compacte.»

Une autre entreprise de Québec, ABB, a également fait sa marque dans l'espace. Elle a notamment fourni un spectromètre pour le satellite scientifique canadien SciSat, lancé en 2003. La mission de SciSat consistait à mesurer et à comprendre la diminution de la couche d'ozone.

C'est un beau succès, lance Jacques Giroux, responsable du développement des affaires du secteur spatial chez ABB. Ça fera bientôt 10 ans, mais le satellite est encore en service et l'équipe continue à générer des résultats.»

Héroux-Devtek a connu son heure de gloire à la fin des années 60, avec la fabrication du train d'alunissage du module lunaire d'Apollo. Le secteur spatial ne représente plus qu'une petite partie du chiffre d'affaires de l'entreprise de Longueuil: une de ses divisions fabrique toujours les grappins qui relient au bras robotique les satellites qu'on veut lancer dans l'espace.

À Bromont, Teledyne Dalsa fabrique les capteurs des caméras de Curiosity et des autres rovers américains qui explorent la planète Mars.

C'est très petit comme contrat, mais c'est très prestigieux, souligne Raymond Frost, un scientifique d'intégration des procédés chez Teledyne Dalsa. Ça donne beaucoup de visibilité à l'entreprise.»

Mais c'est probablement MDA qui est l'entreprise canadienne qui a laissé le plus de traces dans l'espace, avec des projets de satellites comme Radarsat et de robotique comme le fameux bras canadien.

La division de MDA à Sainte-Anne-de-Bellevue faisait auparavant partie de RCA Victor, qui a commencé à concevoir des charges utiles pour les satellites dans les années 50. La division a connu plusieurs propriétaires: Spar Aérospatiale, EMS, puis MDA, mais a continué à concevoir des équipements pour satellites.

Nous avons toujours été les leaders en matière spatiale au Canada», lance le vice-président aux opérations de la division de Montréal, Marc Donato.

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Un leader mondial, vraiment?

La robotique. L'imagerie satellite radar. Et les communications à longue portée. Voilà les trois grandes forces du Canada dans l'espace, selon l'astronaute Chris Hadfield, qui s'envolera en décembre pour la Station spatiale internationale et la commandera pendant trois mois à partir de mars.

Depuis Alouette, nous avons toujours été au premier plan de l'imagerie satellite», a expliqué M. Hadfield cette semaine, en entrevue à l'Agence spatiale à Saint-Hubert (ASC). «L'imagerie de Radarsat est utilisée partout dans le monde, pour voir les signes des changements climatiques, les tsunamis. Seul Radarsat peut voir les changements aux mouvements des glaciers antarctiques.»

John Logsdon, politologue spécialiste de l'espace à l'Université Georgetown à Washington, confirme l'importance de Radarsat. «Il y a beaucoup de satellites d'imagerie, comme Landsat du gouvernement américain ou Ikonos, Geoeye ou Quickbird d'entreprises privées. Mais ce sont généralement des systèmes optiques. Radarsat est l'un des rares systèmes radars. Ses concurrents sont indiens et allemands.»

Pour ce qui est de la robotique, les bras canadiens et le manipulateur Dextre de la station spatiale auront bientôt de la concurrence. «Mais MDA a vraiment une avance et ne reste pas non plus inactif, dit M. Logsdon. Ils préparent la prochaine génération du bras canadien.»

Les faiblesses de la robotique spatiale canadienne sont sa portée - 15 mètres pour le bras de la station - et la nécessité d'avoir des «cibles», selon William Bolton, vice-président au développement des affaires à Altius. «Pour utiliser le bras canadien, il faut que l'objet à manipuler ait des endroits compatibles où le bras peut s'arrimer», explique M. Bolton, en entrevue au Colorado. «Nous voulons offrir un système plus flexible, qui peut prendre n'importe quoi, dont la portée dépasse 100 mètres et qui est télescopable. Nous avons bon espoir d'avoir notre stickyboom en essai sur la station spatiale d'ici 12 à 18 mois.»

Altius se tient prête pour l'éventualité où le bras canadien de la station connaîtrait une avarie irréparable. À l'ASC, on reconnaît qu'envoyer assez de pièces de rechange sur la station spatiale est un défi puisque la navette n'est plus là pour se charger des pièces trop grosses pour les vaisseaux cargos actuels. «Un de nos grands enjeux pour le moment est de nous assurer que nous aurons ces pièces en nombre suffisant pour assurer l'entretien du Canadarm2 et de Dextre jusqu'en 2020, explique Julie Simard, porte-parole de l'ASC. «Comme les prévisions initiales arrêtaient en 2015, la prolongation de l'ISS jusqu'en 2020 nécessitera des pièces de rechange supplémentaires.» Des livraisons de pièces à la station spatiale ont dû être annulées faute de navettes, mais il y a quelques articulations, un bras de Dextre et d'autres pièces de rechange.

Altius a aussi reçu un contrat de l'Agence de projets et de recherche avancés en défense (DARPA) du gouvernement américain pour le système Phoenix, qui serait capable d'attraper des satellites à la retraite en orbite, d'en extraire les composantes encore en bon état et de s'en servir pour fabriquer de nouveaux satellites - toujours en orbite. Une autre entreprise, Sierra Nevada, vise elle aussi le ravitaillement et la réparation de satellites, un domaine orphelin depuis la mise à la retraite de la navette spatiale et de son bras canadien.  

Quant aux communications à longue portée, c'est une spécialité canadienne à cause de l'immensité du territoire, selon Chris Hadfield. Huit satellites Anik ont été lancés et la Nasa s'est servie dès ses premiers vols habités d'une antenne rétractable de fabrication canadienne.

- Mathieu Perreault, La Presse