En dépit des efforts déployés par l'Ordre des ingénieurs du Québec pour ramener une certaine stabilité, le climat reste tendu parmi les 60 000 ingénieurs, dont la profession a été éclaboussée lors des audiences de la commission Charbonneau.

«Nous faisons face à une crise majeure, reconnaît en entrevue à La Presse Affaires Daniel Lebel, 48 ans, président de l'Ordre. Nous devons retrouver la confiance du public.»

Il concède que la sortie de crise est difficile et pose de nombreux défis.

Il s'agit d'abord, évidemment, de changer le discours cynique entendu dans la population à propos des ingénieurs malhonnêtes qui ont terni l'image de la profession.

Il faut également saisir le message envoyé par un groupe imposant d'ingénieurs qui ont quitté leur ordre professionnel pour des raisons que n'arrive pas à s'expliquer le président de l'Ordre.

«On leur a simplement demandé de suivre une formation continue de 30 heures, sur 2 ans, et ils ont refusé, même si on leur a laissé amplement le temps de se conformer», se désole-t-il.

Or, en raison de leur refus de maintenir à jour leurs compétences, «entre 1000 et 1500» ingénieurs au Québec seront radiés de l'Ordre au cours des prochaines semaines. Ces départs viendront s'ajouter aux 2000 autres survenus en avril 2013, pour les mêmes motifs.

Daniel Lebel trouve «épouvantable» qu'un ingénieur en vienne à perdre son titre pour «une petite formation de 30 heures». Et il se questionne sur les motivations de ces professionnels qui décident de sortir de la profession.

Il a des doutes. «Ceux qui ont décidé de quitter, de sortir de la profession, on les connaît, explique-t-il. J'ose espérer qu'ils ont pris une décision réfléchie et qu'ils savent dans quoi ils s'embarquent si jamais ils veulent pratiquer dans l'illégalité. Nous allons être vigilants et intensifier notre surveillance pour faire respecter la déontologie.»

De toute évidence, les dommages causés par les révélations devant la commission Charbonneau ont laissé des traces. «Et ce n'est pas terminé», prévient le président.

Il ajoute: «Au bureau du syndic, nous constatons une augmentation considérable des demandes d'enquêtes. Le contexte est difficile. Ce sont quelques centaines d'ingénieurs aux pratiques douteuses qui continuent d'affecter des milliers d'ingénieurs intègres.»

Déficit prévu de 5 millions

Un autre dossier chaud monopolise l'attention au conseil de l'Ordre des ingénieurs. Cela concerne les finances de l'organisation, qui sont lourdement déficitaires. «On se dirige vers un déficit de 5 millions en 2014», confirme Daniel Lebel.

Résultat: les ingénieurs viennent de se faire imposer une hausse de cotisation de 90$, qui portera leur contribution à 400$ annuellement.

«Je me fais beaucoup critiquer sur cette question, admet le président de l'Ordre, et je ne suis pas là pour gagner un concours de popularité, tout comme les membres de mon conseil d'administration. Toutefois, il faut comprendre que c'est en raison de ce déficit prévu que nous avons dû intervenir et hausser les cotisations. Nous n'avions pas le choix de faire autrement.»

L'ingénieur, à la tête d'une petite entreprise spécialisée en gestion de projets, à Drummondville, convient que la pilule a été dure à faire avaler et qu'il a fallu que le conseil d'administration de l'Ordre applique l'article 85.1 du Code des professions pour imposer cette majoration, jusque-là rejetée par les ingénieurs.

«Nous avons pris une décision courageuse», affirme-t-il.

Il croit néanmoins que cette injection de fonds, en vertu de la hausse des cotisations, permettra à la police de l'Ordre de «sanctionner, enquêter et s'assurer d'inspecter adéquatement les ingénieurs» qui ne marcheront pas dans la bonne direction.

«Le contexte actuel impose une intensification de nos actions sur le terrain», fait-il valoir.

Il craint, par ailleurs, que d'autres hausses de cotisations soient nécessaires à compter de 2015. «Je ne crois pas que le contexte va totalement changer demain matin, et il nous faudra disposer de moyens financiers pour corriger la situation et faire notre travail d'enquête, ce qui est de notre devoir, prévient-il. On reviendra avec les demandes qui s'imposeront.»

Il dresse un parallèle entre le travail d'inspection auprès des ingénieurs et celui de la... police. «Si, demain matin, on décidait d'éliminer la surveillance routière, ce serait le chaos total! Nous aussi, nous sommes là pour prévenir les mauvais coups.»