Mondialisation. Village global. Toute la planète est occupée par les multinationales. Toute? Non. Car d'irréductibles citoyens résistent, encore et toujours, à l'envahisseur. Leur potion magique s'appelle économie de proximité. C'est le retour du village local. Y compris en ville.

La résistance porte même un nom sérieux. «En recherche, on appelle ça le développement durable et solidaire des communautés», indique Louis Favreau. Sociologue et professeur associé à l'Université du Québec en Outaouais, il participe à un programme de recherche interuniversitaire sur cette thématique.

«Qu'on soit dans les quartiers populaires de Montréal, au lac Kénogami au Saguenay ou dans une communauté forestière, on s'aperçoit que les coopératives sont au coeur du processus de cette économie locale régénérée», affirme-t-il.

Il n'est pas à court d'exemples, à commencer par les coopératives agricoles et forestières.

«Il y a 40 coopératives forestières dans différentes régions du Québec, qui sont habituellement la clef de voûte du développement économique de leurs localités», indique-t-il.

Leur avenir réside dans le virage écologique et le développement durable. Une douzaine d'entre elles s'intéressent maintenant à la biomasse forestière, résidus de bois recueillis en forêt qui alimenteront les chaufferies d'édifices importants. L'hôpital d'Amqui est chauffé avec cette matière.

Les énergies renouvelables peuvent elles aussi animer les économies locales. La coopérative Val-éo au Lac-Saint-Jean, qui regroupe 58 fermes, deux municipalités et une centaine d'investisseurs locaux, a obtenu un contrat de vente d'électricité éolienne à la suite d'un appel d'offres d'Hydro-Québec. En décembre dernier, après la signature du contrat, la coopérative a appelé les citoyens et entreprises de la région à investir dans ce projet. «C'est une expérience exemplaire», soutient Louis Favreau.

Les modèles coopératifs se multiplient. Une cinquantaine de coopératives de santé ont été créées au Québec, pour offrir des services de proximité. Près de 40 coopératives multiservices regroupent et perpétuent le dépanneur, la station-service et la quincaillerie qui, autrement, disparaîtraient d'une petite localité menacée de dévitalisation.

«Ça crée de l'emploi, ça revitalise l'économie locale, et les gens ont le plus souvent une perspective de développement durable», résume Louis Favreau.

L'implosion pétrolière

Paradoxalement, ce retour vers le village local pourrait bien être amplifié, voire imposé, par les forces économiques. Le catalyseur?

Le pétrole!

Steven Guilbeault, d'Équiterre, prend à témoin l'ouvrage Demain, un tout petit monde, de Jeff Rubin, ancien économiste de CIBC Marchés mondiaux. «Il annonce dans ce livre la fin de la mondialisation économique comme on la connaît, décrit-il. Pourquoi? Essentiellement à cause de l'augmentation rapide des prix du pétrole.»

Jeff Rubin prophétise une réduction de l'utilisation de la voiture, un rapprochement des centres-villes. Bref, «il dit qu'on va revenir, au niveau de l'agriculture et de l'économie dans son ensemble, à quelque chose de beaucoup plus local», poursuit Steven Guilbeault.

Il est lui-même un précurseur de cette tendance au Québec, avec le programme d'agriculture soutenue par la communauté d'Équiterre, qui met en lien des citoyens et des cultivateurs biologiques.

«Depuis 1995, je suis membre d'une ferme qui me fournit mes légumes une fois par semaine, affirme-t-il. Je connais mon fermier, je connais ses enfants, je connais les enfants de ses enfants. On a réappris à tisser des liens.»

Christopher Bryant, professeur titulaire au département de géographie de l'Université de Montréal et directeur du Laboratoire de développement durable et dynamique territoriale, observe le phénomène depuis plus de 20 ans. «Il y a tellement de petites initiatives qui se passent à l'échelle locale qui, dans l'ensemble, commencent à faire une différence!», constate-t-il

Il croit à ce qu'il appelle l'approche Forrest Gump, celle des petits pas. «Si on persiste, on peut changer pas mal de choses. Et c'est souvent plus réussi que d'essayer de faire des grands projets.»

Mais il ajoute que la notoriété de ces succès se limite souvent aux médias locaux.

Comme quoi la communication, pour sa part, ne peut demeurer régionale.