Le gouvernement investira 115 millions pour enfin savoir si de l'or noir se cache dans le sous-sol d'Anticosti. Si cela s'avère, que devrions-nous faire de cette ressource? Nous avons posé la question à des acteurs-clés du domaine de la politique, de l'environnement et de la recherche.

Martine Ouellet

La ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, juge qu'il est beaucoup trop tôt pour déterminer à quoi servira le pétrole québécois. Cela dit, elle ne trouve pas contradictoire que le Québec exploite son propre pétrole tout en cherchant à réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020.

«Nous importons pour 14 milliards de pétrole annuellement au Québec, soutient-elle. Si nous avons un potentiel d'exploitation et que nous l'employons correctement, je ne vois pas où est le problème.»

Selon elle, «l'idéal serait que le pétrole soit transformé ici». Toutefois, en considérant qu'il s'agit d'une ressource non renouvelable, la ministre croit «qu'il faut penser aux générations futures, soit en créant un fonds, soit en remboursant la dette du Québec. Il y a plusieurs véhicules possibles. Nous verrons dès que nous connaîtrons le taux de récupération du potentiel estimé de 46 milliards de barils à Anticosti.»

Jean-François Spain

Prudent, car il juge que nous nageons dans «l'hypothétique», Jean-François Spain, enseignant au cégep de Gaspé et coauteur de l'étude Du pétrole pour le Québec?, n'a qu'un souhait: que la filière pétrolière québécoise soit davantage un projet économique avec des objectifs à long terme, plutôt qu'un projet d'affaires, c'est-à-dire de création d'emplois à court terme.

«Il existe plusieurs avenues, dit le coauteur d'une des rares études sur le sujet. Avec l'argent du pétrole, nous pourrions créer un fonds consolidé comme Statoil l'a fait avec succès en Norvège. Sinon, pourquoi ne pas se tourner vers une deuxième ou une troisième transformation en créant des produits à forte valeur ajoutée, comme des plastiques ou des tissus synthétiques qui seraient recyclables?»

Pierre-Olivier Pineau

Pierre-Olivier Pineau, professeur spécialisé en politique énergétique à HEC Montréal, s'inquiète du risque environnemental lié à l'exploration, puis à l'exploitation du pétrole au Québec. «Je m'inquiète qu'il n'y ait pas d'expertise sur la fracturation, dit-il. Il faut augmenter notre capacité de surveillance. Nous devrions profiter de cet investissement pour développer une expertise dans la fracturation et ses effets sur l'environnement.»

Le titulaire de la chaire de gestion du secteur de l'énergie «applaudit ce que le gouvernement fait», car «c'est le prix à payer pour en avoir le coeur net», soutient-il. Toutefois, les retombées de 45 milliards sur 30 ans ne l'émeuvent guère. «Cela fait 1,5 milliard par année. En augmentant de 1 cent chaque kilowattheure du bloc patrimonial d'Hydro-Québec (totalisant 165 TWh; NDLR), on peut obtenir sensiblement la même somme.»

Steven Guilbeault

De l'avis de Steven Guilbault, cofondateur et directeur principal d'Équiterre, la création d'un fonds n'est pas une panacée. Celui de Statoil atteint 600 milliards. «La Norvège est l'un des rares pays où l'État a réussi à bien exploiter ses ressources pétrolières, reconnaît-il. Mais elle a créé son fonds il y a une trentaine d'années dans un contexte où on ne parlait pas de taxes sur le carbone et de lutte aux changements climatiques.»

L'écologiste s'explique d'ailleurs mal pourquoi le gouvernement a décidé d'aller de l'avant dans la filière pétrolière. «Avant son élection, Mme Marois est venue nous rencontrer à Équiterre pour nous dire qu'elle voulait réduire notre dépendance au pétrole. Il y a un fossé important entre ce genre d'engagement et l'investissement sur Anticosti», dit-il.

Le prix à la pompe

Ceux et celles qui espèrent une baisse des prix à la pompe, si jamais le Québec dispose de ressources pétrolières abondantes, se trompent: le prix du pétrole est assujetti non seulement à un prix fixe sur le marché mondial, mais également à une flopée de taxes qui aident à payer notre filet social.

L'énergie québécoise en chiffres

39,3%

Part de l'électricité dans la consommation totale d'énergie au Québec.

50%

Le secteur industriel est responsable de près de la moitié de la consommation totale d'électricité.

26 060

Nombre de kilowattheures utilisés par habitant. Le Québec est l'un des endroits du monde où il se consomme le plus d'électricité par personne.

38,6%

Part du pétrole dans le bilan énergétique québécois.

14 milliards

Valeur du pétrole importé annuellement au Québec.

3/4

Part du secteur des transports dans la consommation de produits pétroliers.

29,1

Pourcentage du secteur des transports dans la consommation totale d'énergie. La part du secteur résidentiel est de 18,5%, et celle du secteur commercial, de 14,9%.

37,6%

Part du secteur industriel dans le bilan énergique québécois, le principal consommateur. Les industries des pâtes et papiers, de la sidérurgie, de la fonte et affinage (y compris les alumineries), du ciment et des produits chimiques accaparent plus des deux tiers de la consommation d'énergie de ce secteur.

13,5% et 7,6%

Parts respectives du gaz naturel et de la biomasse dans la consommation énergétique totale au Québec. Le secteur industriel est, dans les deux cas, le principal utilisateur.

1,1%

Part du charbon dans les besoins énergétiques totaux du Québec, entièrement attribuables au secteur manufacturier.

39,4

Millions de tonnes équivalent pétrole (tep) représentant la consommation totale d'énergie du Québec. Composées de 179,7 térawattheures d'électricité, 17,4 milliards de litres de produits pétroliers, 5,8 milliards de m3 de gaz naturel, 3 005 300 tep de biomasse et 632,9 kilotonnes de charbon.

Source: ministère des Ressources naturelles du Québec, 2010