Virage culturel qui améliorera l'accessibilité de la justice pour les uns, code démagogique pour d'autres. Le nouveau Code de procédure civile polarise les experts universitaires. La question de l'obligation de «considérer» systématiquement les moyens privés de prévention et de résolution des conflits cristallise les désaccords.

La présence, dès le premier article du nouveau Code de procédure civile, de la phrase « Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s'adresser aux tribunaux » fait des vagues. Outre la promotion de moyens de rechange à la justice, c'est aussi la présence du mot « privé » qui dérange.

Favorable aux nouvelles orientations du Code, Marie-Claire Belleau, professeure à la faculté de droit de l'Université Laval et médiatrice en matière familiale, civile et commerciale, n'aurait pas mis de l'avant le recours à des modes « privés », mais plutôt à l'ensemble des moyens publics et privés.

Sylvette Guillemard, elle, a carrément sursauté. Professeure à la faculté de droit de l'Université Laval, où elle enseigne la procédure civile, elle est très « attachée à l'accès aux institutions publiques et donc à la justice publique ». Si bien qu'elle trouve « inacceptable que le codificateur pense un code qui fasse la promotion de modes privés de prévention et de résolution des conflits ».

Elle se montre également sceptique quant au désengorgement des tribunaux grâce au fait qu'un certain nombre d'affaires se régleront en médiation ou en arbitrage. Si elle croit que la médiation est efficace pour rétablir le contact entre deux parties, elle est beaucoup moins convaincue par l'accord qui peut en résulter.

« Ce qui me fait très peur avec la médiation, c'est l'insatisfaction à long terme qu'une entente acquise à coups de concessions peut générer. Une décision rendue par un juge est plus facilement acceptée non seulement grâce à l'autorité du juge, mais aussi parce qu'elle n'implique pas la responsabilité des parties. » - Sylvette Guillemard, professeure à la faculté de droit de l'Université Laval

Jean-François Roberge, directeur du programme de prévention et règlement des différends à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, considère, à l'inverse, que le nouveau code « amène un virage culturel pour améliorer l'accessibilité, la célérité et l'efficacité de la justice et est une réponse au constat de décrochage judiciaire par un grand nombre de citoyens quand ils sont confrontés à des conflits ».

Convaincu que « la culture de justice adversariale a multiplié les stratégies procédurières » et incite les parties à s'opposer, Jean-François Roberge voit d'un bon oeil le recours à des modes de rechange comme la médiation ou l'arbitrage.

Pas d'inquiétude sur le fond puisque « l'accès à la justice doit permettre une solution adaptée, réparatrice, transparente, équitable et fonctionnelle à un problème, ce qui correspond tout à fait à ce qui est mis de l'avant par le nouveau Code », selon M. Roberge.

Quant à Marie-Claire Belleau, médiatrice elle-même, elle croit dans le fait de « donner aux gens la possibilité de régler eux-mêmes leurs problèmes en trouvant par eux-mêmes la solution qui leur est le mieux adaptée ».

Elle n'aurait pas été favorable au fait d'obliger les citoyens à passer par un mode de prévention et de règlement des différends, mais « l'obligation de considérer ces solutions est un compromis intéressant, car les gens gardent leur droit de décision », explique-t-elle.

Y a-t-il un risque de privatiser la justice ou de recevoir devant les tribunaux tout autant de dossiers à la suite de l'échec de médiations mal encadrées ? Certes, on peut s'attendre à un certain nombre de ratés au début, selon le professeur Roberge.

Mais le fond n'est pas en cause.

« J'ai vu dans mon expérience de médiatrice les bienfaits de permettre aux gens de se parler. Parfois, ils veulent juste se faire reconnaître, parfois le conflit reposait sur des malentendus qu'on peut très vite dissiper en présence d'un facilitateur qui aide les parties à se parler. »  - Marie-Claire Belleau, professeure à la faculté de droit de l'Université Laval

« Ce code est là pour une meilleure paix sociale, contrairement à un système de justice adversariale qui pousse les gens à se monter les uns contre les autres », ajoute Marie-Claire Belleau.

Les experts s'entendent au moins sur un point : la nécessité d'évaluer régulièrement la mise en oeuvre de ce nouveau code afin, le cas échéant, de pouvoir y apporter des ajustements.