Ça s'appelle l'achalandage en jargon de comptable. Quand vous vendez votre studio de photographe 1 million, mais que sa valeur comptable n'est que de 250 000$ (stocks, équipement et tout objet matériel, plus les comptes clients), la différence, c'est l'achalandage.

On sait qu'à moins d'être un peu pataud, on ne vend pas son entreprise à la simple valeur comptable. Que diable, on a travaillé fort, on s'est créé une clientèle fidèle, des fournisseurs compréhensifs, on a formé des adjoints compétents et fiables, tout ça vaut beaucoup.

Oui, mais combien? Que valent vos actifs incorporels, comme les nomme Sylvain Caron?

Normes resserrées

M. Caron, CA, est directeur services-conseils financiers chez BDO Canada. «Disons d'abord que depuis le début des années 2000 les normes juridiques et comptables se sont resserrées. Nous sommes maintenant tenus d'évaluer explicitement et séparément chaque actif incorporel. Ce n'est plus le fourre-tout commode d'avant, un gros bloc indistinct sur lequel on collait une étiquette avec un prix pour tout le lot.»

Norman Jess, CGA et directeur principal chez Choquette Corriveau de Québec, confirme. «Depuis 2003 les normes d'acquisition canadienne obligent à évaluer précisément plus de 20 types d'actifs incorporels différents», dit-il.

Sylvain Caron les range dans cinq grandes familles: la notoriété de l'entreprise (le branding); la relation aux clients, qui est liée à la fréquence des commandes; la qualité des contrats signés, par exemple un bail avantageux ou des conditions d'approvisionnement privilégiées; des brevets, des processus, des recettes ou des technologies; enfin, tout ce qui relève de l'aspect artistique et du droit d'auteur.

Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée, mais combien peut bien valoir la réputation de mon salon de coiffure aux yeux d'un comptable? «Dans ce cas précis, précise Norman Jess, ce qu'il s'agit d'établir, c'est la contribution actuelle et future de cet actif incorporel (la bonne réputation, la notoriété) aux bénéfices et aux flux de trésorerie.»

Le mot clé ici est «futur». Le comptable ne se contente pas d'évaluer la proportion des profits actuels découlant de la renommée du salon de coiffure. Il la projette dans l'avenir, sur un horizon de cinq ou dix ans et évalue ce qu'elle sera alors. Il peut ainsi mettre une valeur précise en dollars sur cet actif incorporel. N'oublions pas que la notoriété s'acquiert dans le temps et continue à faire son effet dans le temps. D'où la projection.

Trois approches

«C'est une des trois approches possibles pour accrocher une valeur précise à ce type d'actifs, reprend Sylvain Caron. Mais il y en a deux autres. On peut aussi évaluer un actif incorporel à ce qu'il en coûterait pour le remplacer.»

Dans le cas du salon de coiffure, on peut supposer qu'en plus de la patronne, il y a quatre excellentes coiffeuses, efficaces, créatives, courtoises, etc. On peut évaluer toutes ces qualités au coût entraîné par leur remplacement: salaires versés avant qu'elles n'atteignent le sommet de leur courbe d'apprentissage, les primes à la performance, la formation, les heures passées à les superviser, etc.

Encore une fois, on arrive alors à une somme précise qui évalue un actif qui semblait de prime abord échapper à un calcul comptable.

Finalement, il y a la méthode comparative. Dans un passé récent et pour un type d'entreprise comparable, combien a-t-on payé pour un actif incorporel semblable? «Le marché nous fournit une bonne indication de la juste valeur d'un actif incorporel tel qu'un brevet ou un procédé industriel, assure Norman Jess. Depuis le resserrement des normes, ces comparaisons se font encore plus précisément.»