L'écriture, donc l'Histoire, est née au Moyen-Orient. La résilience de ses populations et leur capacité à relancer les échanges commerciaux ne sont peut-être pas étrangères à ce patrimoine multimillénaire.

« Ce qui est frappant quand on regarde le Moyen-Orient, lance d'entrée de jeu l'ancien journaliste Jean-François Lépine, c'est que malgré toute la crise actuelle, il y a une capacité de résilience dans cette région du monde qui est absolument hallucinante. »

Cette résilience est peut-être une forme de conscience de l'Histoire et de la temporalité.

Les juifs « ont eu trop d'histoire et pas assez de géographie », a écrit le philosophe politique Isaiah Berlin.

D'une certaine manière, on pourrait étendre l'aphorisme à tout le Proche-Orient, berceau (fortement secoué) de la civilisation, étroit carrefour entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie, corridor disputé depuis des millénaires par des empires transitoires.

Aucun malheur, aucun pouvoir ne sont éternels, ont appris ses populations.

« C'est peut-être un facteur culturel et historique, reconnaît l'ancien correspondant de Radio-Canada à Jérusalem. Ils ont subi tellement de bouleversements... »

Au moment de notre entretien, Jean-François Lépine n'a pas encore été nommé représentant officiel du Québec en Chine. Il ne veut pas se poser en spécialiste du commerce international. Associé-fondateur d'Avistra International, firme-conseil qui « aide les entreprises qui veulent croître à l'étranger », il se consacre davantage à « la question des relations avec les gouvernements locaux, la question de l'adaptation à la culture du pays, au réseautage ».

Également président de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, il sait toutefois que la géopolitique influence fortement le commerce - et vice-versa.

Hélas, il n'est pas optimiste.

Le conflit à la jonction de la Syrie et de l'Irak et les décevantes répercussions du Printemps arabe ont déchiré le tissu économique d'une bonne partie du Proche-Orient.

« Malgré tout ce qui se passe dans la région, qui est vraiment en guerre, une guerre qui a fait 150 000 morts, 800 000 blessés et 8 millions de réfugiés, il y a des pays qui continuent à croître. »

- Jean-François Lépine

La Jordanie, par exemple. « La pauvre petite Jordanie, qui est prise avec un demi-million de réfugiés, qui survit tout de même avec quelque 4 % de croissance économique. Ils investissent beaucoup, un peu comme Israël, dans les nouvelles technologies. »

PRINTEMPS ET HIVER ARABES

« Le Printemps arabe, quatre ans après, a vraiment nui à cette région, constate l'observateur, qui n'a rien perdu de son acuité. Autant dans les milieux financiers que chez les investisseurs, on n'est plus capable de discerner où il y a de la vitalité, qu'est-ce qui est intéressant, quelles sont les opportunités dans un monde qu'on ne comprend plus. »

Au centre géographique de cet hiver arabe, l'Égypte conserve néanmoins un énorme potentiel économique, notamment en raison de sa population nombreuse, jeune et instruite.

« Les Égyptiens font tout pour attirer les investissements étrangers, parce qu'ils ont des problèmes énormes de chômage. C'est une population extrêmement jeune, environ 60 % de la population en bas de 30 ans, avec 40 % de chômage chez les jeunes. »

Le président al-Sissi, à l'assise démocratique discutable, se démène pour « convaincre principalement les investisseurs du Golfe de faire confiance à l'Égypte et d'investir ».

Des projets - dirions-nous pharaonesques ? - sont discutés : élargissement du canal de Suez, création d'un nouveau centre-ville en périphérie du Caire...

« Ce sont des projets qui ne sont pas tellement pris au sérieux pour l'instant par les milieux financiers occidentaux, mais qui attirent l'attention de pas mal de gens dans le monde. »

Malheureusement, ajoute-t-il, l'économie touristique en Égypte, en Tunisie et en Libye est totalement déprimée. « Pour l'Égypte, c'est très grave. Malgré toute la confiance qu'ils essaient d'imprimer, ils n'arrivent pas à relancer le tourisme. »

PERCÉE EN PERSE

L'entente préliminaire conclue en avril entre les États-Unis, ses partenaires et l'Iran sur la question atomique doit être suivie de la levée des sanctions économiques imposées à l'ancienne Perse.

« Si tout cela progresse normalement, les portes vont s'ouvrir. L'Iran, qui a un potentiel de développement exceptionnel, une population très instruite, veut acheter des armes modernes et des produits sur les marchés internationaux, et va peut-être attirer des investissements chinois ou russes. L'Iran va devenir un pôle de développement. »

En réaction à cette influence économique grandissante, les pays du Golfe, au premier rang desquels l'Arabie saoudite, voudront à leur tour accroître leurs investissements dans la région.

« Il y a une concurrence qui est en train de se faire entre ces deux blocs, celui des sunnites traditionalistes dans le golfe Persique, l'Arabie saoudite en tête, et l'Iran de l'autre côté. »

- Jean-François Lépine

Malheureusement, cette compétition ne se déroule pas que sur le terrain du commerce. « L'Iran prend de l'expansion géostratégique au Moyen-Orient. Les Saoudiens essaient de contrebalancer en injectant de l'argent pour aider toutes sortes de mouvements dont on ne contrôle pas très bien les actions. »

Mais le Moyen-Orient ne se résume pas à l'ancien Croissant fertile. « Il y a eu des scandales qui ont fait mal aux entreprises canadiennes, mais dans tout le monde de l'Afrique du Nord entre autres, et dans le golfe Persique, il y a beaucoup d'opportunités pour les entreprises canadiennes, dans le secteur énergétique, entre autres. »

LE RÔLE DE L'HISTOIRE

Comme toujours, il y a de l'espoir, fût-il lointain.

« Cette région du monde a une capacité de développement extraordinaire, à cause de cette résilience », souligne encore Jean-François Lépine.

L'Histoire joue aussi en faveur du Moyen-Orient. C'est son immense patrimoine culturel qui fait l'attrait touristique du Moyen-Orient. Or, le tourisme est aussi une manière de thermomètre économique. « Le tourisme fait en sorte que les gens voient le pays. Ils reviennent et disent que ce pays marche ou pas. »

Si une région est rassurante pour les touristes, elle l'est aussi pour les investisseurs.

« Ultimement, ce qui va attirer l'investissement, c'est la transparence et la démocratie », soulève l'ancien journaliste.

« Si ces pays s'ouvrent à nouveau, que les choses vont mieux, les touristes vont revenir, les investisseurs vont revenir. Mais ça prend du temps. »

L'Histoire s'écrit lentement.