Produire un bien ou un service de qualité est une chose. Réussir à le faire connaître à l'extérieur de nos frontières en est une autre. Brasser des affaires à l'étranger n'est jamais une sinécure. Il faut s'y préparer minutieusement et prendre le temps de bien faire les choses. La Brasserie Dunham nous explique comment elle a réussi son entrée sur la côte Est américaine et comment elle compte poursuivre sa croissance au sud de la frontière.

Quoi de neuf?

L'effervescence des microbrasseries ne se limite pas qu'au Québec. Aux États-Unis, où 1800 petits brasseurs s'ajouteront bientôt aux 3000 existants, le phénomène relève plutôt du tsunami. La Brasserie Dunham veut profiter de ce marché en pleine expansion. Et elle s'en donne actuellement les moyens. D'ici 24 mois, elle investira 3 millions dans ses installations des Cantons-de-l'Est afin de multiplier par huit sa production actuelle de 3000 hectolitres. L'arrivée récente d'une nouvelle actionnaire, Josée Latendresse, une consultante en développement qui a notamment réalisé des mandats pour le Cirque du Soleil et Ubisoft, est de bon augure pour la PME de huit employés. Entre-temps, la Brasserie Dunham continue à effectuer lentement, mais sûrement, quelques percées chez l'Oncle Sam où, notamment au Vermont et au Maryland (Baltimore), les bières de la jeune entreprise sont de plus en plus prisées.

L'élément déclencheur

Le nom de Brasserie Dunham, autrefois connu sous le vocable Brasseurs et frères, circule sur la planète bière depuis environ deux ans. Depuis, en fait, que la microbrasserie québécoise s'est taillé une place sur le site Rate Beer, qui dresse le palmarès des 100 meilleures microbrasseries du monde.

«Ça fonctionne par vote, explique Éloi Deit, coactionnaire. Mais plus on a de votes provenant d'endroits différents dans le monde, mieux c'est. On s'est classé parmi 16 000 microbrasseries. Les beer geeks se basent sur Rate Beer pour faire leur pèlerinage. Les distributeurs s'y fient également.»

Par conséquent, des distributeurs du Brésil, de la Norvège, de Singapour et même de la Nouvelle-Zélande ont demandé à importer les produits de Brasserie Dunham. Des demandes sont également venues des États-Unis, un marché que le brasseur québécois a tout naturellement priorisé de par sa proximité.

Ainsi, depuis deux ans, la PME québécoise est représentée chez l'Oncle Sam par Shelton Brothers, situé au Massachusetts. À ce jour, Brasserie Dunham lui a fait parvenir quelques palettes de 60 barils en fût, lesquels sont surtout destinés aux pubs et bars de spécialités. Pas de quoi faire vivre l'entreprise des Cantons-de-l'Est à plein temps, mais juste assez pour maintenir de l'intérêt et surtout inciter le brasseur à innover.

Car, sur la trentaine d'élixirs brassés à Dunham, 20% sont vieillis en barriques de chêne qui ont servi, entre autres, en Europe et en Californie. Or, ce sont justement ces bières, dont les arômes sont plus subtils, plus riches, qui font la réputation de Brasserie Dunham à l'étranger. En résultent des bières aromatiques élaborées notamment avec du thé Earl Grey, de la pomme grenade ou du sirop d'érable. «Notre objectif est de faire vieillir en fût 40% de notre production», mentionne Sébastien Gagnon, coactionnaire et propriétaire du bar à bières Vices & Versa, boulevard Saint-Laurent à Montréal.

Pour la suite des choses, Brasserie Dunham continuera à s'en remettre à son distributeur américain Shelton Brothers. Mais elle n'exclut pas la création d'autres alliances. Elle y travaille d'ailleurs. Exclusivement offertes en fûts, les exportations de la PME vers les États-Unis devraient aussi vraisemblablement se faire en bouteilles au cours de la prochaine année.

Les patrons de la microbrasserie québécoise se rendront également aux États-Unis le plus souvent possible pour participer notamment à des festivals en tant qu'exposants. Ce sera à nouveau le cas au Vermont's Beer Festival de cette année.

Enfin, Éloi Deit, un ex-brasseur au Cheval Blanc à Montréal, continuera à entretenir les très nombreux et très étroits liens qu'il a tissés ces dernières années, notamment avec la bande de brasseurs de Jester King, au Texas, et de Four Hands, au Missouri.

La stratégie

L'an dernier, Éloi Deit a passé deux jours aux douanes américaines afin de se familiariser avec la vente d'alcool aux États-Unis. L'activité, organisée par la chambre de commerce du Montréal métropolitain, lui a ouvert les yeux sur la stratégie à adopter pour percer ce vaste marché sans se ruiner.

«Pour une petite entreprise comme nous, dit-il, ça coûterait trop cher de tout gérer nous-mêmes. Dans chaque État où nous voulons exporter, ça prend un importateur qui, à son tour, doit faire affaire avec un distributeur. Ce ne serait donc pas logique pour nous de nous installer là-bas. Nous continuerons donc à faire affaire avec des gens en place.»

En 2017, Brasserie Dunham produira 25 000 hectolitres de bières annuellement (contre 3000 actuellement). «On ne peut vendre toute cette bière uniquement au Québec, dit Éloi Deit, copropriétaire. C'est pourquoi le marché américain nous intéresse beaucoup.»

Selon l'American Brewers Association, il se serait vendu plus de bières de microbrasseries (toutes catégories confondues) que de Budweiser en 2014 aux États-Unis.

L'anecdote

Lors d'un séjour en Californie, où il assistait à un festival de bière organisé par son distributeur Shelton Brothers, Éloi Deit a fait la connaissance des fondateurs de la microbrasserie Jester King, située à Austin, au Texas. Leur amitié a grandi au point où, invité au Texas, M. Deit a aidé ses collègues américains à développer une bière baptisée «This is not a poutine». «Elle est à base de patate douce, de noix de coco et de piments forts. Bref, à partir des ingrédients qui composaient le repas que nous avions mangé la veille dans un restaurant», s'esclaffe Éloi Deit.

Avis aux intéressés : la «This is not a poutine» sera offerte au bar à bières Vices & Versa en août 2015.

En chiffres

Côte Est américaine

8: nombre d'États qui composent la côte Est américaine : Maine, New Hampshire, Vermont, Massachusetts, État de New York, New Jersey, Connecticut et Pennsylvanie.

28,9 milliards: valeur des échanges commerciaux entre le Québec et la côte Est américaine.

30,8%: en 2014, le commerce de marchandises entre le Québec et la côte Est américaine représentait 30,8% des échanges totaux (53,0 milliards) avec les États-Unis.

Principales exportations du Québec (2014): huiles de pétrole, l'aluminium sous forme brute, énergie électrique, etc.

Principales importations au Québec (2014): les circuits intégrés et les micro-assemblages électroniques, services postaux et de courrier, turboréacteurs, turbopropulseurs et les autres turbines à gaz.

Source : ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations (2014)