La même vieille Terre, un nouveau monde. Encore une fois. Le commerce international entre dans une ère qui offre plus d'une analogie avec la découverte de l'Amérique. Une convergence de révolutions. Des routes maritimes essentielles. La mondialisation des échanges. Échanges sur le monde avec Gil Rémillard.

Gil Rémillard observe avec l'enthousiasme d'un jeune mondialiste les changements fondamentaux qui agitent le commerce international contemporain.

«C'est extraordinaire, ce qui se passe!», lance-t-il - un qualificatif qui reviendra souvent dans la bouche du président fondateur du Forum économique international des Amériques.

Il situe le point de départ de ce bouleversement en 1989, «une date marquante dans l'histoire contemporaine du monde». C'était la chute du mur de Berlin, mais aussi «la réussite de la ronde de l'Uruguay». Ces négociations commerciales multilatérales allaient se concrétiser en 1994 avec les accords de Marrakech et donner naissance l'année suivante à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

«Et ça, c'est marquant. Commence alors le mouvement de mondialisation et le développement d'une façon de voir le commerce international.»

LES AMÉRIQUES

Et dans les Amériques?

«Pour comprendre ce qui se passe, il faut revenir à 2001: la Conférence des Amériques à Québec. Elle est surtout restée en mémoire pour les désordres qu'elle a faits dans la rue, mais cette conférence a été extraordinaire parce que les 30 et quelques pays sont arrivés à un engagement ferme de faire l'intégration économique des Amériques.»

Cet engagement aurait dû se concrétiser quatre ans plus tard à Cancun, mais une série d'événements, dont les initiatives audacieuses d'Hugo Chavez à la tête du Venezuela, ont fait sombrer le navire.

Pendant que le nationalisme sud-américain connaissait un sursaut de fierté, la Chine, qui entamait sa période de croissance phénoménale, est venue s'approvisionner en matières premières au Brésil. Résultat, «on s'est retrouvé avec une Amérique du Sud beaucoup plus proche de l'Asie et de la Chine que de l'Amérique du Nord».

Mais le portrait change depuis deux ans.

«Beaucoup! La Chine a coupé ses investissements du côté du Brésil, qui va entrer officiellement en récession. Les pays sud-américains se rendent compte que finalement, le moment est peut-être venu de reprendre les négociations.»

ROUTES MARITIMES

Alors qu'elle l'a comprimé en Amérique du Sud, la Chine maintient son flux d'investissement en Afrique. «L'Afrique bénéficie de tout ce contexte de mondialisation qui la place aussi à un endroit assez stratégique. D'un côté l'Asie, de l'autre l'Atlantique.»

Ces liens commerciaux se traduisent en axes de communication sinon nouveaux, du moins renforcés. «Ça nous amène à parler maintenant en termes de routes de commerce. Quelles sont les grandes routes de commerce qui sont à se mettre en place? C'est ce qui va être déterminant dans les prochaines années.»

Trois grandes routes maritimes vont prendre une nouvelle importance, explique-t-il, celles de l'Asie, du Pacifique et de l'Atlantique.

Ah tiens ! Voilà qui rappelle le début du XVIe siècle, qui avait connu la première forme de mondialisation des échanges commerciaux.

Les Espagnols avaient établi une liaison entre les Philippines et l'Amérique centrale, et après un transfert intermodal par l'isthme de Panama, entre l'Amérique latine et l'Europe. Les Portugais faisaient voile vers le Brésil, les côtes africaines et l'océan Indien.

Or, qui dit routes maritimes, dit ports.

Une délégation africaine qui participait au récent Forum stratégique mondial de Miami a expliqué «que le commerce du port de Miami avec les ports africains a quintuplé dans les trois dernières années», relate Gil Rémillard. «Miami devient le New York des prochaines décennies.»

Au sud de Miami, le passage vers le Pacifique va bientôt s'agrandir.

L'élargissement du canal de Panama devrait être complété en 2017.

Le futur - bien qu'incertain - canal du Nicaragua, dont les travaux viennent de commencer, devrait accueillir les navires géants qui ne peuvent transiter par le canal de Panama. «Quand on met ça en perspective, regardez ce qui s'en vient au point de vue des routes de l'Atlantique!»

AU BOUT DE LA ROUTE: MONTRÉAL

Dans ce contexte, «Montréal doit prendre sa place comme une métropole des Amériques, une entrée», insiste Gil Rémillard.

Pourtant, notre métropole semble plutôt éloignée des grands axes maritimes. «Montréal est proche!, réplique-t-il vivement. Pourquoi Jacques Cartier est-il venu planter une croix en Gaspésie? Il était en ligne droite!»

Un taux de change favorable et un port implanté au coeur du continent sont des atouts de premier ordre pour Montréal, soutient-il. «Quand vous avez un dollar à 81 cents comme ce matin et que vous prenez un cargo d'Anvers à destination de Chicago ou Detroit, il vous coûte beaucoup moins cher de le faire passer par Montréal que par New York.»

Le projet de terminal passager ajoute à son optimisme : «Le port de Montréal est destiné à un avenir exceptionnel.»

TRIPE RÉVOLUTION

«Tout ça doit se comprendre en fonction du moment qu'on vit sur cette planète, qui ne s'est pas produit souvent dans son histoire : trois révolutions en même temps.»

La révolution technologique, d'abord, «qui amène une troisième révolution industrielle».

La révolution de l'énergie, qui «repose sur le gaz et le pétrole de schiste » aux États-Unis, mais également sur la production et le stockage de l'énergie solaire.

Enfin, la révolution des communications. «On communique instantanément et on a accès à une information instantanée. Regardez ce que ça veut dire pour l'Afrique au point de vue éducation et formation!»

Une triple révolution ? Il y a encore là comme un écho...

À la fin du XIVe siècle, l'Europe avait aussi connu sa convergence de révolutions: celles de l'imprimerie, des nouvelles technologies de navigation et du renversement par les Ottomans de l'Empire byzantin plus que millénaire, fermant la route terrestre de l'Orient.

Gil Rémillard saisit la balle au bond: «On peut le relier au rôle des villes. À ce moment-là, c'était Venise. Regardez aujourd'hui. On revient vers les villes comme pôle premier de développement économique.»

Dès lors, Montréal doit jouer ses atouts, et les jouer bien.

«Il faut développer notre vision. Montréal est une porte d'entrée sur les Amériques, mais elle est aussi une antenne entre les différentes cultures.»

Une antenne tournée vers le monde.