Les difficultés que rencontre Bombardier (T.BBD.B) ont des impacts dans tous les domaines de l'industrie aérospatiale québécoise, y compris sur l'innovation. Mais l'arrêt du programme Learjet 85 ne doit pas masquer les initiatives prises par le secteur pour créer de nouveaux produits, en attendant un contexte plus favorable.

L'abandon du programme Learjet 85, un biréacteur d'affaires, illustre la difficulté de vendre des avions dans le contexte économique mondial, marqué par la morosité. Pour Bombardier, cet arrêt se double de la difficulté à commercialiser la C Series, sur laquelle l'avionneur mise depuis de nombreuses années.

Trop économe pour l'heure?

Les ventes de la C Series sont aussi plombées par la chute du prix du carburant, explique Hany Moustapha, directeur d'AEROETS, l'organe aérospatial de l'École de technologie supérieure de Montréal (ETS). «La C Series consomme 20% de carburant de moins que ses concurrents, explique M. Moustapha. La baisse du prix du pétrole ne joue donc pas en faveur de Bombardier... mais cet avantage compétitif redeviendra important aussitôt que le coût rebondira.»

Un tel décalage entre un produit innovant et un contexte défavorable ne doit pas décourager l'innovation, martèle Suzanne Benoit, PDG d'Aéro Montréal, qui souligne que même abandonné, le programme Learjet aura quand même permis à des entreprises québécoises de bénéficier du travail accompli jusque-là... et de le transposer sur de futurs produits.

Appui en baisse

La reconduction du programme de l'avion plus écologique (SAGE) agira comme un soutien à cet effort constant d'innovation, ajoute Mme Benoit. Et ce, même si le gouvernement québécois fait passer sa contribution de 70 millions de dollars sur cinq ans à 40 millions sur quatre ans. «Nous aimerions surtout que le gouvernement provincial réserve un budget annuel pour nous aider à faire évoluer nos technologies», affirme Suzanne Benoit. Aéro Montréal a d'ailleurs défendu, cet automne, le maintien des capacités d'innovation durant les périodes de morosité économique, lors de la consultation sur la stratégie gouvernementale en aérospatiale.

Concrètement, le gouvernement du Québec attribuera un dollar pour chaque dollar investi par une entreprise privée dans un projet qui démontre un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Des milliards en retombées

La première phase du programme de l'avion plus écologique pourrait accorder 2,8 milliards de dollars de revenus et 6000 emplois-années pour l'industrie québécoise dans les 10 prochaines années, souligne Mme Benoit. Pas moins de 21 PME avaient participé durant 5 ans aux projets menés par 6 grandes entreprises: Bombardier Aéronautique et Bell Helicopter Textron, Thalès Canada, Pratt&Whitney Canada, Héroux-Devtek et Esterline CMC.

La quatrième révolution industrielle

«Ce qui est en jeu, c'est le rattrapage du Québec dans la course à la quatrième révolution industrielle», assure Hany Moustapha, qui fait allusion à l'usine de l'avenir et à la robotisation avancée. L'Europe et les États-Unis disposent de moyens si importants pour mettre au point des usines entièrement automatisées que le Québec ne peut pas se permettre de rester à la traîne, explique le directeur d'AEROETS. «Si on est capables de produire à un coût inférieur à celui qui prévaut dans d'autres pays, poursuit M. Moustapha, on pourra relocaliser des emplois au Québec.»

Et les entreprises ne sont pas les seules à participer à cette course à l'innovation. En partenariat notamment avec l'Université McGill, l'ETS a ainsi créé le Consortium canadien pour la fabrication aérospatiale intelligente (CCFAI). Cette structure vise à accélérer la commercialisation des technologies de fabrication intelligente en utilisant ses expertises en matière de recherche, de propriété intellectuelle et de supervision des instruments financiers. Jusqu'à maintenant, 20 entreprises, dont la plupart sont des PME, ont déjà proposé 26 projets. Ce consortium hébergé dans les murs de l'ETS a soumis une demande de subvention au gouvernement fédéral pour soutenir son budget, estimé à plusieurs dizaines de millions de dollars.

L'ETS a également proposé au gouvernement du Québec un nouveau programme de formation en gestion des programmes technologiques, destiné aux PME. Nommé AéroFabFutur, ce programme au budget compris entre 15 et 25 millions de dollars sur cinq ans - selon la participation du gouvernement - consiste à offrir des cours et des ateliers afin d'outiller les entreprises dans leur utilisation de technologies nouvelles. «La moitié des PME québécoises en aérospatiale utilisent peu la technologie et l'innovation en raison de leur manque de moyens et de liens avec des centres de recherche», explique Hany Moustapha. La réponse du gouvernement du Québec est attendue en décembre ou en janvier.