Les retards que rencontre Bombardier génèrent un impact considérable chez les sous-traitants du constructeur aéronautique. Pour diminuer leur dépendance au grand donneur d'ordres québécois, ils misent sur la diversification de leurs clients et de leurs produits.

Avec des commandes de C Series en berne, et un retard de deux ans pour l'avion d'affaires Global 7000, Bombardier ne rassure guère ses sous-traitants. Les carnets de commandes se sont allégés, et les calendriers de mises de production sont à revoir.

«La baisse des cadences de Bombardier, c'est important pour nous», affirme Jean Blondin, président d'Abipa, spécialisée dans la construction de composants de moteur, de trains d'atterrissage et de fuselage. La réduction de 25% des commandes de Bombardier a fait fondre le chiffre d'affaires de la PME de 10% depuis le début de l'année.

D'abord, la PME lavalloise a dû rapidement réduire ses coûts de structure.

L'entreprise qui emploie 150 salariés s'est séparée d'une quinzaine de personnes en production et en assistance technique. Des embauches prévues ont été reportées. «Nous avons demandé à l'ensemble des employés syndiqués, dont la direction, de prendre des jours de congé sans solde d'ici la fin de l'année», confie Jean Blondin, qui assure toutefois qu'Abipa maintiendra son programme d'investissements sur les trois prochaines années, afin notamment d'être en mesure de répondre au prochain cycle haussier de commandes de Bombardier.

Pas question, toutefois, d'attendre que l'avionneur québécois retrouve des ailes pour regarnir le carnet de commandes. «Nous orientons une partie de nos ressources vers de nouveaux clients qui préparent leurs futurs programmes», précise Jean Blondin.

Les leçons du passé

Les fournisseurs québécois ont appris à faire avec le caractère cyclique de l'activité du principal donneur d'ordres aérospatial de la province.

Chez Outillages Avitec, on se rappelle la précédente vague de réduction de commandes. En 2012, la PME montréalaise spécialisée dans les outillages de coupe travaillait à 95% pour Bombardier...

«Nous avons ressenti fortement le ralentissement, rappelle Sandra Di Sano, directrice assurance qualité chez Avitec. Nous nous sommes dit que si nous n'allions pas chercher d'autres clients, nous allions devoir mettre tout le monde à la porte.»

L'entreprise familiale se lance alors dans une tâche qu'elle négligeait: la prospection commerciale. «Nous avions le même site web depuis 20 ans!», se remémore Mme Di Sano. Depuis, la PME a réussi à faire connaître ses produits chez d'autres clients.

Aujourd'hui, Bombardier ne représente plus que 30% du carnet de commandes d'Avitec, ce qui permet à la PME de 35 employés d'affronter plus sereinement la nouvelle baisse de commandes du donneur d'ordres.

Investir dans la diversification

Cette diversification de la clientèle est devenue une règle d'or pour certains sous-traitants. Sinters America, où Bombardier représente de 15 à 20% de l'activité, travaille aussi pour Thalès, Pratt&Whitney et Safran. «Ces grands clients ne connaissent pas de ralentissement tous en même temps», observe Éric Ledoux, président de Sinters America.

L'entreprise spécialisée en conception de tests automatisés et de pièces connaît une croissance de 20 à 30% par année grâce à cette diversification, mais aussi à sa capacité à aller explorer des marchés prometteurs. Depuis deux ans, l'entreprise de 65 employés profite de la forte demande de l'Amérique centrale.

Chez certains fournisseurs, c'est même l'offre de produits qui est diversifiée pour mieux absorber les cycles d'activité.

En 2014, Sonaca Montréal a entamé un processus de diversification basé sur sa capacité à construire de A à Z les panneaux d'ailes d'avions régionaux et d'affaires. «Nous voulons ouvrir notre offre de produits à d'autres grandes pièces d'infrastructure», détaille son président Sylvain Bédard.

L'entreprise décide alors d'investir 16 millions sur cinq ans. Dès cette année, 2 millions de dollars ont été dépensés pour acquérir une machine d'usinage de profilé en aluminium. Sonaca peut ainsi construire des raidisseurs qui peuvent mesurer jusqu'à 60 pi de longueur, et qui sont fixés sur les panneaux d'aile pour les renforcer. Et l'entreprise ne compte pas s'arrêter là: elle compte percer sur le marché des avions commerciaux, avec des clients comme Boeing et Airbus en ligne de mire.

Un préalable

De plus en plus, ces diversifications ne sont plus seulement des décisions internes des sous-traitants. Ce sont les donneurs d'ordres qui s'inquiètent désormais de voir des fournisseurs trop dépendants de leurs commandes, ce qui fragilise leur chaîne d'approvisionnement.

«Les équipementiers posent comme condition à leurs fournisseurs d'avoir d'autres clients qu'eux-mêmes, constate Suzanne Benoit, PDG d'Aéro Montréal, car si les sous-traitants font faillite à cause d'un ralentissement de commandes, qui fournira les pièces nécessaires lorsque l'activité reprendra?»