Les Suisses Bertrand Piccard et André Borschberg ont réalisé en juillet le tout premier tour du monde à bord d'un avion solaire avec le Solar Impulse 2. M. Piccard a relaté l'aventure à La Presse.

Question: Vous vous étiez déjà illustré en réalisant, en 1999, et à votre troisième tentative, le tout premier tour du monde en ballon avec le Britannique Brian Jones. Qu'est-ce qui vous a amené à l'avion solaire ?

Le tour du monde en ballon, c'était un rêve personnel, c'était quelque chose qui n'avait jamais été fait et c'était une grande compétition avec Richard Branson, Steve Fossett et une dizaine d'équipes. C'était la dernière grande aventure du XXsiècle. C'était 20 jours de vol, plus de 45 000 km non-stop et à chaque minute, la peur de tomber en panne de carburant. Nous avions 3,7 tonnes de propane pour chauffer l'enveloppe en partant et à l'atterrissage, il nous en restait à peine 40 kg. Nous étions complètement dépendants de la réserve d'énergie fossile que nous avions à bord, et je me suis mis à rêver de voler sans carburant, de voler pour toujours, de manière perpétuelle. J'ai donc imaginé un avion solaire qui pourrait accomplir le tour du monde en volant jour et nuit sans avoir besoin d'être ravitaillé. C'est comme ça que l'idée de Solar Impulse est née. 

La concrétisation de ce rêve a été plus difficile que prévu, n'est-ce pas ?

L'impossible prend toujours plus de temps que le possible. Le projet a été deux fois et demie plus long et cinq fois plus cher que prévu [rires].

Combien cela a-t-il coûté ?

170 millions US. Ce qui est intéressant, c'est que c'est de l'argent provenant des budgets marketing de nos partenaires financiers pour soutenir un projet qui a permis de stimuler la recherche scientifique et de payer les salaires d'ingénieurs.

Racontez-nous comment vous vous sentiez pendant les vols, ce à quoi vous pensiez pendant toutes ces heures passées là-haut, tout seul.

Alors, contrairement à ce qu'on peut imaginer, les vols eux-mêmes étaient absolument extraordinaires, c'était la plus belle partie du projet. Ce qui a été le plus difficile, c'était au sol : trouver l'argent et les technologies, obtenir des autorisations, les problèmes humains, techniques et météorologiques. Mais les vols... Imaginez : quand j'ai fait la première traversée de l'Atlantique en avion solaire, New York-Espagne, c'était trois jours et trois nuits de vol et j'avais l'impression d'être dans un film de science-fiction ! Je voyais le soleil au-dessus de moi, je voyais tourner les quatre hélices et il n'y avait pas de bruit, pas de pollution, c'était complètement futuriste alors qu'en fait, j'étais dans le présent. C'est ça, le message, finalement : il ne faut pas toujours croire que le futur va nous permettre de faire mieux, le présent nous permet déjà de faire mieux ! 

Solar Impulse 2 est resté bloqué à Hawaii de juin 2015 à avril 2016 en raison de dommages subis par ses batteries lors du trajet de Nagoya à Hawaii. Cette épreuve a-t-elle entamé votre détermination ?

Sur le moment, ç'a été un gros choc et une déception. Mais ce qui est fascinant, c'est que c'est devenu une bénédiction, cet arrêt. Pendant la première partie du tour du monde, l'année dernière, les gens nous suivaient comme on suit une simple aventure aéronautique. Mais quand ils ont compris que c'était plus difficile que prévu, quand ils ont vu qu'on a dû remplacer les batteries et attendre plusieurs mois, ils ont compris qu'il s'agissait d'autre chose. Et quand nous avons repris les vols cette année, la compréhension du public et des médias avait changé dans le bon sens. On a été soutenus par des institutions, des fondations et des associations de technologies propres, de protection de l'environnement. Ça a donné au projet la dimension que je voulais qu'il ait et qu'il n'avait pas l'année dernière. 

Votre vol le plus long, entre Hawaii et San Francisco, a duré plus de 62 heures. L'an dernier, votre coéquipier André Borschberg a mis plus de 100 heures pour rallier Hawaii à partir du Japon, ce qui en a fait le plus long vol jamais réalisé en solo, tous types d'aéronefs confondus. Comment avez-vous fait pour tenir le coup si longtemps ?

Le cockpit devient la petite maison qu'on habite au milieu du ciel. Le siège peut être rabattu pour en faire un lit, on enlève le coussin pour les toilettes, on a ce qu'il faut pour faire chauffer de la nourriture, on a des habits chauds, des habits froids, on se lave avec des lingettes humides, on fait des exercices physiques et puis pour le sommeil, ce sont de petites phases de 20 minutes, pas plus longues parce que sinon on tombe en sommeil profond et on a de la peine à se réveiller. Quand il y a des turbulences, le pilote automatique se déconnecte, des alarmes sonnent et on est réveillé en sursaut. Il nous fallait donc des zones calmes pour dormir et nos fantastiques météorologues nous en trouvaient.

Peut-on imaginer un jour un tour du monde en avion solaire sans escale ?

Je pense que oui. Mais il ne faut pas oublier qu'il a fallu 62 ans entre le premier tour du monde en avion avec escales et le premier tour du monde en avion sans escale. On y arrivera sûrement avec un avion solaire, mais je ne sais pas dans combien de temps.

Quelles sont les prochaines étapes ? Peut-on envisager un jour des avions solaires capables de vols commerciaux ?

Solar Impulse 2, c'est un avion électrique qui est capable de produire sa propre électricité grâce au soleil. Et pour ça, il faut cette immense envergure de 72 m et des fibres de carbone très complexes pour que ce soit très léger. Mais on peut très bien imaginer un avion électrique dont les batteries sont chargées au sol et qui volerait en court ou moyen courrier avec 50 personnes à bord. Et ça, je fais le pari que d'ici 10 ans, on y sera. Un avion électrique qui ne produit aucun bruit, qui peut se poser dans un aéroport urbain au milieu de la nuit sans gêner personne, ça donne de nouvelles dimensions au transport aérien, à la rentabilité des aéroports et au service pour les voyageurs sans déranger les riverains. 

Note : L'entrevue a été légèrement condensée à des fins de concision.

Dans le cadre de la Semaine de l'aviation civile, Bertrand Piccard prononcera une allocution au Centre Pierre-Péladeau le 3 octobre, un événement organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

LE SOLAR IMPULSE EN BREF

D'un poids de 2,3 tonnes, la deuxième mouture de l'appareil est également plus large qu'un Boeing 747. L'appareil vole à une vitesse moyenne d'environ 80 km/h grâce à des batteries qui emmagasinent l'énergie solaire captée par quelque 17 000 cellules photovoltaïques sur ses ailes. Voici quelques-unes de ses autres caractéristiques.

CONSTRUCTION

La conception de l'avion Solar Impulse débute en 2003. Le prototype de l'appareil est construit de 2007 à 2009 sur la base aérienne de Dübendorf, près de Zurich, et réalise son premier vol d'essai en 2010 dans l'ouest de la Suisse. Plus robuste, la deuxième mouture de l'avion, Solar Impulse 2, prend son envol en 2014. C'est elle qui fera le tour du monde.

CARACTÉRISTIQUES

Le Solar Impulse 2 a une envergure de plus de 72 m, soit davantage que le Boeing 747. Il pèse 2,3 tonnes, soit l'équivalent d'un gros VUS. Sa structure faite de matériaux composites est recouverte de plus de 17 000 cellules photovoltaïques. L'avion est propulsé par quatre moteurs électriques jumelés à autant de batteries.

VOL

Grâce à son poids relativement faible porté par des ailes d'une très grande superficie, le Solar Impulse 2 a une vitesse de décollage d'à peine 36 km/h. L'appareil peut atteindre une vitesse maximale de 140 km/h, mais sa vitesse de croisière est d'environ 90 km/h le jour et 60 km/h la nuit.

ÉTAPES

Le tour du monde a été bouclé en deux phases : la première en 2015 et la deuxième, cette année. En tout, il a fallu 17 étapes dont la durée a oscillé entre 4 h 41 min (Pennsylvanie-New York) et 117 h 52 min (Japon-Hawaii).

Photo fournie par Solar Impulse

Le Solar Impulse pèse 2,3 tonnes, mais est plus large qu'un Boeing 747.