Concurrence étrangère accrue, manque de main-d’œuvre, automatisation, nouvelles réglementations, etc. Le secteur agroalimentaire québécois fait face à de nombreux enjeux. Malgré l’adversité, les entreprises se font résilientes. État des lieux du plus important employeur industriel de la province en ces temps économiques incertains.

Selon Maryse Dumont, présidente du conseil des partenaires pour le projet de zone d’innovation en agroalimentaire dans la région de Saint-Hyacinthe, la concurrence étrangère représente l’enjeu numéro un.

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Maryse Dumont, présidente du conseil des partenaires pour le projet de zone d’innovation en agroalimentaire dans la région de Saint-Hyacinthe

« Jetez un coup d’œil au supermarché, dit-elle, et vous verrez qu’il y a beaucoup de produits dans les rayons qui viennent de partout dans le monde. Et bien souvent, nos transformateurs se trouvent dans une position de faiblesse face à des pays où il y a peu de réglementations, contrairement à ici. »

D’ailleurs, selon l’Union des producteurs agricoles (UPA), la filière agroalimentaire québécoise est généralement moins soutenue que ses principaux concurrents.

En comptant sur environ 6 $ de soutien gouvernemental par tranche de 100 $ de revenus, indique l’UPA, les producteurs d’ici disposent d’un ratio parmi les plus faibles au monde proportionnellement à la valeur de la production, si on le compare par exemple aux États-Unis (8 $) et à l’Union européenne (19 $).

L’organisation rappelle qu’il faut distinguer l’agroalimentaire, qui comprend l’agriculture et la transformation alimentaire, du bioalimentaire, lequel englobe le secteur agroalimentaire, la distribution (vente au détail, épiceries, etc.) et les pêches.

L’UPA estime que l’industrie agroalimentaire a un potentiel de croissance de 20 % d’ici 2030.

« Le secteur de la transformation doit demeurer efficace, compétitif et rentable, puisque 70 % de ce qui est produit par les entreprises agricoles du Québec est transformé. »

Se faire attractive

Autre grand enjeu, le manque de travailleurs fait en sorte que les entreprises agroalimentaires doivent mettre des projets en veilleuse ou tout simplement réduire leur offre. En ce sens, l’industrie doit impérativement miser sur l’innovation, croit Maryse Dumont. « Il faut automatiser les opérations, prendre le virage 4.0 dans les usines. Les gouvernements sont là pour aider les entreprises », confirme-t-elle.

Mitchell Leahy, vice-président opération et production de Vergers Leahy, une PME située à Franklin, près de la frontière américaine, est aux prises avec cette réalité.

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Mitchell Leahy, vice-président opération et production de Vergers Leahy

Le manque de main-d’œuvre bloque notre développement. On se maintient, on se réorganise. On est 275 employés, mais on aurait besoin d’être au moins 300. Le bassin de travailleurs est peu élevé en région.

Mitchell Leahy, vice-président opération et production de Vergers Leahy

La PME spécialisée dans la fabrication de compote et de garniture de tartes a dû se tourner vers les travailleurs étrangers, en l’occurrence de l’île Maurice et de la Tunisie. Elle vient d’en accueillir 11 et souhaite en ajouter une vingtaine d’autres le plus vite possible. Mais le processus est lent.

Vergers Leahy, qui transforme 56 millions de kilogrammes de pommes annuellement, doit également mettre les bouchées doubles pour attirer et retenir les talents. À preuve, elle a ouvert un service de garde de 28 places (toutes comblées !) dans ses installations.

« On n’est pas découragés, tient à préciser Mitchell Leahy, dont la famille est dans les pommes depuis 1880. Mais il faut prioriser les projets plus qu’avant. Les délais sont plus longs, les coûts, plus élevés. Ça ajoute du stress. Des consultants ont commencé à venir nous voir pour nos projets d’automatisation. L’aide est là, mais pour arriver à tout faire, ça nous prend de la main-d’œuvre. »

Un emploi sur huit

Dimitri Fraeys, vice-président Innovation et Affaires économiques au Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), refuse d’être alarmiste. Il préfère qualifier la période actuelle de « vents contraires ».

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Dimitri Fraeys, vice-président Innovation et Affaires économiques au Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ)

La pandémie et l’année 2022, où les marges de profit ont été les pires depuis longtemps, font en sorte qu’il est plus difficile pour les entreprises de réinvestir et d’avoir une vision à long terme.

Dimitri Fraeys, vice-président Innovation et Affaires économiques au Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ)

« Les entreprises s’adaptent et font des choix. Notre industrie est très résiliente », souligne-t-il.

Le gestionnaire rappelle que l’agroalimentaire est le premier employeur manufacturier au Québec. « Ça représente 75 000 travailleurs dans les usines et 25 000 chez les fournisseurs, en plus des emplois indirects. Du champ à l’assiette, c’est un emploi sur huit au Québec », précise-t-il.

Selon M. Fraeys, le secteur travaille d’arrache-pied pour attirer les jeunes dans son sillage.

« On va visiter les écoles, car il faut changer la perception que ce ne sont pas des emplois intéressants. C’est très diversifié. L’informatique, la gestion de la qualité, la logistique, le marketing, les affaires publiques ; tous les types d’emplois y sont représentés. »

La modernisation de la collecte sélective et de la consigne est un autre élément qui viendra s’ajouter aux nombreuses responsabilités du secteur agroalimentaire. Dès janvier 2025, les entreprises seront responsables des contenants, des emballages et des imprimés qu’elles utilisent.

« Par exemple, tous les contenants de prêt-à-boire de 100 ml à 2 L seront consignés. Ça fera 4 milliards de contenants consignés à gérer. Ça va être tout un puzzle, mais il faut le faire », croit Dimitri Fraeys.