Il existe différentes formes de financement pour une entreprise en démarrage. Le love money, ou « argent des proches », en fait partie. Comment éviter les écueils quand des membres de notre famille ou des amis nous appuient dans notre projet entrepreneurial ? Deux spécialistes font le point sur la question.

Les deux universitaires s’entendent sur une chose : un entrepreneur ne devrait rien laisser au hasard quand il sollicite ou accepte de l’argent de ses proches. Autrement dit, il doit mettre cartes sur table, éviter les cachettes et sensibiliser ses bienfaiteurs à tous les scénarios possibles, y compris celui que son projet d’entreprise tourne au vinaigre.

« Il faut être très clair », explique Luis Cisneros, professeur et directeur scientifique de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale-HEC Montréal. « La personne qui offre le love money doit comprendre qu’elle peut soit gagner, soit perdre son argent. En partie ou en totalité. Mais surtout, il faut rappeler au prêteur que c’est du capital patient. »

Oui, il faut parler des risques, croit Kerstin Kuyken, professeure au département de management de l’ESG UQAM. « Il faut envisager tous les scénarios, même les pires, dit-elle. C’est pourquoi la personne qui accepte de prêter de l’argent ne doit pas avoir besoin de cet argent à court terme. »

Gérer les émotions

Selon Mme Kuyken, un document d’environ cinq pages (un dossier d’opportunité, dit-elle) devrait suffire pour présenter le projet à ses proches investisseurs. La présence d’un juriste (notaire ou avocat) n’est pas toujours essentielle, mais demeure à la discrétion de l’entrepreneur, précise-t-elle.

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Kerstin Kuyken, professeure au département de management de l’ESG UQAM

Il faut surtout parler de soi. Les gens investissent dans la personne avant d’investir dans l’entreprise. L’entrepreneur doit être capable d’aborder la gestion des attentes et des émotions. Avant de recevoir l’argent, il doit être capable d’expliquer son projet de A à Z.

Kerstin Kuyken, professeure au département de management de l’ESG UQAM

Quant aux informations confidentielles (sujet sensible s’il en est un, surtout dans les projets technologiques), il faut les transmettre aux prêteurs, mais ceux-ci doivent s’engager à ne rien divulguer, rappelle Mme Kuyken.

Luis Cisneros recommande la rédaction d’une convention entre actionnaires. « Il faut faire une sorte de charte des valeurs, dit-il, pour voir si les investisseurs sont alignés avec les valeurs de l’entrepreneur. »

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Luis Cisneros, professeur et directeur scientifique de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale-HEC Montréal

Autre détail à considérer : le parent ou l’ami qui injectera des fonds voudra-t-il avoir voix au chapitre ? « Est-ce que ce sera du love money actif, où l’investisseur participe aux décisions, voire aux opérations, ou de l’argent passif, par lequel une tante investit sans rien attendre en retour ? », questionne Kerstin Kuyken.

Qu’elle participe aux activités quotidiennes ou pas, toute personne qui investit dans le rêve entrepreneurial d’un cousin ou d’un voisin devrait toujours être mise au courant du cheminement de la jeune entreprise. « C’est la moindre des choses d’informer les investisseurs, ne serait-ce que par courriel », rappelle Luis Cisneros. Peut-être pas à chaque trimestre, mais au moins une à deux fois par année, dit-il.

L’obtention d’argent des proches devrait par ailleurs être vue comme un exercice en soi, soutient Luis Cisneros. « C’est un exercice très formateur, rappelle le professeur titulaire au département d’entrepreneuriat et innovation. On parle très peu de l’apprentissage qu’on en tire. »

Très répandue

Sans pour autant être universelle, la pratique du prêt par des proches est présente dans plusieurs cultures, disent les deux experts.

« Aux États-Unis, où la culture entrepreneuriale est très forte, l’argent vient bien souvent de la famille rapprochée, explique Kerstin Kuyken. En Chine, ce sont plutôt les amis proches. En Norvège, les gens vont davantage investir pour aider quelqu’un en difficulté. Et dans certains pays d’Afrique, où on favorise moins l’entrepreneuriat, c’est assez difficile d’obtenir du love money. »

Même si le terme existe depuis seulement quelques décennies, le love money a toujours été présent partout dans le monde, y compris au Québec, soutient Luis Cisneros. « Ce sont les autres types de financement qui ont suivi », dit-il.